A] LA PREMIERE GUERRE MONDIALE ET SES BOULEVERSEMENTS.
1) La mobilisation, la maladie et la nouvelle direction.
Nous avons vu que la première guerre mondiale avait enlevé à l'usine
beaucoup d'hommes mobilisés. Parmi eux se trouvait Marcel MOREL, le propre fils
d'Ange MOREL. Les conditions de travail à l'usine deviennent plus dures suite
aux réquisitions de l'armée ; ainsi, le 13 février 1915, l'administration
militaire réquisitionne un collier, les traits et les guides des chevaux d'Ange
MOREL qui demande dès lors des réparations de l'ordre de quarante francs et
dont il n'obtiendra que vingt-cinq francs[i].
Par ailleurs, avec la guerre, la santé d'Ange MOREL se détériore. Ceci amène
sa femme, Léonie MOREL-MACHARD à installer monsieur Georges TROUDE, gendre
d'Ange MOREL, à la direction de l'usine en 1915. Mais tenir les rênes d'une
usine est une chose, la gérer en est une autre, c'est là le rôle du directeur
comptable Fernand DUBOC qui entre au service de l'usine le premier février 1915
et qui y restera jusqu'au 30 juin 1941[ii].
2) Marcel MOREL et René GATE.
Le fait que ce sont ces deux personnages qui vont diriger l'usine pendant
quarante-sept années nous oblige à les connaître un peu mieux. Le 10 mai
1886, à sept heures du soir, boulevard de la Gare à Fougères, naît Marcel,
Auguste, Eugène MOREL, fils ainé d'Ange MOREL et de Léonie MOREL-MACHARD[iii].
Le jeune garçon grandit et fait ses études au collège Saint-Martin de Rennes[iv].
Puis à l'âge de vingt-huit ans, le 28 février 1914, il décide de se marier
avec mademoiselle Suzanne, Marthe GATE, âgée de vingt-quatre ans et originaire
de Notre-Dame-de-Bréhal. Malheureusement, quelques mois plus tard, il part à
la guerre. C'est pendant la guerre que naîtront ses deux premiers enfants :
Marcel, René, Léon, Ange, MOREL fin novembre 1914 et Pierre, Louis, MOREL début
décembre 1917.
C'est
après la première guerre mondiale que Marcel MOREL, en désaccord avec la
direction de l'entreprise Ange MOREL, s'associe avec son beau-frère René GATE
dans une usine de talons.
René
GATE naît à BREHAL le 5 avril 1891. Les années passent et on retrouve le
jeune homme à Paris où il réussit brillamment les épreuves du concours de l'Ecole
Centrale des Arts et Manufactures ce qui fait de lui un ingénieur. Après cela,
il arrive à Fougères, capitale de la chaussure féminine, et s'associe avec
son beau-frère Marcel MOREL dans la direction d'une usine de talons.[v]
3) MOREL & GATE, fabricants
de talons face à Ange MOREL, fabricant de chaussures et à Eugène MOREL
fabricant de chaussures.
Messieurs Marcel MOREL et René GATE décident donc de poursuivre
l'activité d'une usine de talons fondée en 1892 au numéro 23 de la rue
BEAUMANOIR à Fougères. Comme il est dit dans la publicité ci-contre[vi],
ces derniers la dote d'un outillage performant afin d'être capable de
concurrencer les deux autres grosses manufactures de talons de l'époque :
DABLIN & LESONGEUR et LEBRIS & NICOUL. La société MOREL & GATE
contractée jusqu'au premier juin 1924 ne sera pas renouvelée : elle sera
vendue par René GATE à Emile TOUTAIN, ami de la famille MOREL, qui s'associera
à son fils pour en continuer l'exploitation.
Parallèlement
à l'usine Ange MOREL et à celle des talons MOREL & GATE, nous apprenons la
liquidation en mars 1922 de l'entreprise de chaussures[vii]
dirigée par le frère de Marcel MOREL père : Eugène, Pierre MOREL qui a
l'intention de vendre l'entreprise et de rembourser ses créanciers[viii].
Il deviendra, en 1924, négociant à Toulon[ix],
puis en 1926, représentant de commerce dans la même ville[x].
Nous observons ici à quel point la tradition du métier de la chaussure était
importante.
[i]
A.D.I.V. - 4U12-109 : Acte de conciliation, administration militaire et
monsieur MOREL, 1/7/1915.
[ii]
A.M.F. - 2L, fonds MOREL & GATE : Mouvement du personnel, recrutement,
effectifs, registres des congés payés.
[iii]
A.D.I.V. - 3E120/94 : actes de naissances de Fougères en 1886.
[iv]
Entretien du 11/10/1994 avec monsieur MOREL (P.), sous-directeur de
l'entreprise MOREL & GATE chargé dela fabrication et des relations avec
le personnel.
[v]
Renseignements recueillis dans les archives de l'entreprise et dans les
entretiens avec monsieur Pierre MOREL.
[vi]
C.S.F.C.F., "Manufacture de talons TOUTAIN & Fils", L'ILLUSTRATION
ECONOMIQUE ET FINANCIERE, n°11, 29/8/1925, p.114.
[vii]
Rue BEAUMANOIR ou Rue CHANZY ?
[viii]
A.D.I.V. - 4U12-116 : Minute du 25/3/1922.
[ix]
A.D.I.V. - 4U12-118 : Acte du 9/5/1924.
[x]
A.M.F. - 1AI, fonds MOREL & GATE : Acte de dissolution de la société
Ange MOREL, 21/4/1926.
B] LA MANUFACTURE DE CHAUSSURES
MOREL & GATE.
1)
L'installation rue des Récollets.
A partir de 1915, Ange MOREL, âgé de soixante et un ans commence à
voir son état de santé se détériorer[i]. Les difficultés qu'il
connaît pour se gouverner lui-même et administrer ses biens amène le conseil
de famille à juger de la nécessité d'interdire Ange MOREL[ii]
le 17 septembre 1921[iii]. Sa femme, Léonie
MACHARD, devient alors, le 25 mars 1922, sa tutrice[iv]
et décide avec l'accord du conseil de famille de continuer d'assurer le
commerce, la fabrication et la vente de la chaussure[v].
Mais la nécessité que connaît Léonie MOREL-MACHARD de s'occuper constamment
de son mari l'empêche de gérer une affaire de cette importance. L'interdiction
de son mari lui permet de retirer la direction de l'affaire à Georges TROUDE,
le gendre d'Ange MOREL qui dirigeait l'affaire depuis 1915[vi],
et de demander, le 9 mai 1924, à son fils aîné, Marcel MOREL, de l'aider à
diriger l'entreprise[vii]. Marcel MOREL qui, comme
nous l'avons vu précédemment, dirigeait avec René GATE, son beau-frère, une
usine de talons rue BEAUMANOIR à Fougères accepte alors de s'occuper de la
gestion de la fabrique de chaussures Ange MOREL, laissant la direction des "affaires sociales" à sa mère, Léonie MOREL-MACHARD[viii].
Pour cela il se retire de la direction de la société de talons MOREL &
GATE et s'associe avec sa mère, tutrice d'Ange MOREL en créant le 4 septembre
1924 une Société en Nom Collectif ayant pour nom "ANGE MOREL"[ix]
; René GATE continuant seul de son côté à gérer la société de talons
qu'il vendra peu après à messieurs TOUTAIN et fils, amis très proches de la
famille MOREL[x].
On trouve en effet, à la page 114 d'un numéro spécial, supplément au numéro
11 du 29 août 1925 de l'Illustration économique et financière, une publicité
concernant l'entreprise de talons TOUTAIN et fils d'où la vente qui a eu lieu
entre le 9 mai 1924 et le 29 août 1925.
Ange
MOREL décède le 16 octobre 1925 à l'âge de soixante et onze ans, rue de
Verdun à Fougères. Dès lors, on retrouve René GATE qui se réassocie le 15
novembre 1925 avec son beau-frère Marcel MOREL dans une "Société
de Fait" au capital de cinq cent mille francs[xi].
Cette Société de Fait est intéressante pour deux raisons : la première parce
que la société Ange MOREL n'est pas encore dissoute ; elle le sera par un acte
notarié daté du 21 avril 1926 et enregistré à Fougères le premier mai 1926.
La seconde raison réside dans la définition
même d'une Société de Fait : il s'agit d'une société qui s'ignore, c'est-à-dire
qui existe, mais qui n'est pas déclarée ni immatriculée. On peut émettre
l'hypothèse que c'est pour prévenir tout événement pouvant amener la fin de
l'entreprise[xii],
ou pouvant amener un associé indésirable que monsieur Marcel MOREL s'associe
avec René GATE de suite après la mort de son père. Il montre ainsi sa volonté
de continuer à tout prix l'exploitation de la fabrique de chaussures "Ange
MOREL", volonté qu'il a apparemment pu exprimer le 21 avril 1926 lors
d'une réunion regroupant madame Léonie MOREL-MACHARD et messieurs Marcel
MOREL, Eugène MOREL et Léon TROUDE, fils de Georges TROUDE[xiii].
Mais officiellement, c'est le 29 juillet 1926 que la Société en Nom Collectif
MOREL & GATE est constituée par un acte notarié reçu par maître BEC à
Fougères et enregistrée à Fougères le 4 août 1926. Cette S.N.C. est établie
pour une durée de vingt ans, elle a son siège social dans l'ancienne usine
Ange MOREL dont elle porte encore le nom puisque "MOREL et GATE" n'en est que "la raison et la signature sociale" et que "Maison
Ange MOREL" en est la dénomination obligatoire. Le capital social est
d'1.411.206,15 francs (francs courants) et est réparti entre messieurs Marcel
MOREL (910.673,70 francs) et René GATE (500.532,45 francs).
2) La construction de la
nouvelle usine : l'appel à l'architecte GAUVIN.
Cette partie s'appuie essentiellement sur les soixante-dix-huit registres
de correspondance balayant la période de 1926 à 1930 issus des archives de
l'entreprise MOREL & GATE. Ont été étudiés dans ces registres de cinq
cents pages chacun, toute l'admirable correspondance entre messieurs MOREL et
GATE d'une part et messieurs GAUVIN l'architecte, RICHER l'entrepreneur et
ODORICO les mosaïstes. Mes autres sources proviennent de monsieur PREVOS,
petit-fils de l'architecte GAUVIN de Vitré, et de la magnifique thèse
d'Histoire de l'art d'Hélène GUENE[xiv].
L'ancienne
usine en bois constituée sous la direction d'Ange MOREL et Eugène ROLLIN ne
possédait pas les terrains bordant la rue des Prés. Sur ces terrains se
trouvaient quatre maisons anciennes. MOREL & GATE possédait trois de ces
maisons qu'elle louait. Elle ne put réussir, à l'époque, à acheter la quatrième
maison dont le propriétaire, monsieur LAMBERT, ne voulait se défaire[xv].
Selon Hubert LE MAROIS[xvi],
une de ces maisons datant du XVIème siècle aurait "vu le deuxième établissement
des religieuses urbanistes". Malheureusement, ces trois maisons
furent sacrifiées lors de la construction de la nouvelle usine[xvii].
En effet, le 12 mai 1926, les locataires ont huit jours pour déménager car les
travaux de construction vont commencer[xviii].
C'est alors qu'un échange de terrains a lieu et que l'usine devient propriétaire
d'une parcelle jouxtant l'usine[xix].
C'est dans cette parcelle que quelques années plus tard, lors de la
construction d'un petit muret, les entrepreneurs découvriront des squelettes
humains qui se révéleront appartenir à l'ancien cimetière des Récollets !
Arrêtons
nous un peu à monsieur Louis GAUVIN. Architecte depuis 1900, il devient
l'architecte officiel de la ville de Vitré où il réalise les plans des bâtiments
d'une autre manufacture de chaussures : NOEL. Sa fille, Gisèle GAUVIN s'éprend
d'un jeune homme venu par deux fois travailler en stage chez monsieur GAUVIN et
avec qui elle se marie bientôt. Ce jeune homme se nomme Ernest PREVOS, c'est
lui qui, en fait, a dessiné les plans de l'usine MOREL & GATE. Ernest
PREVOS est né le 7 septembre 1900 en Belgique ; il suit les cours de l'ATHENEE
ROYAL de Mons où il se distingue comme "très
bon élève". Mais il est
obligé en août 1914 de fuir sa ville de Thulin occupée par les officiers français.
Il traverse la France et arrive à Laval où il reprend ses études par
correspondance. Il est reçu aux concours de piqueur des chemins de fer et de
conducteur des travaux publics. Il suit alors des cours à l'Ecole des TRAVAUX
PUBLICS de Paris et en sort deuxième ingénieur derrière NOVARINA qui réalisa,
entre autre, l'hôtel de ville de Grenoble et la chapelle du plateau d'Assy[xx].
Messieurs
MOREL et GATE s'entendent avec monsieur GAUVIN, l'architecte maître-d'oeuvre
chargé de réaliser la nouvelle usine, pour construire cette dernière en deux
phases afin de ne pas avoir à "arrêter
ne fut-ce que peu de temps un quelconque des services de (...) fabrication"[xxi].
Les deux associés imposent donc à l'architecte GAUVIN un planning des travaux
prévoyant dans un premier temps la construction du bâtiment n°1 de la rue des
Prés comprenant le sous-sol, la salle de piqûre au premier étage et la salle
de coupe au deuxième étage ainsi que les deux escaliers et la cage du
monte-charge ; dans un deuxième temps, ils prévoient, après le raccordement
du bâtiment n°1 à l'atelier de l'ancienne usine en bois (qui disparu en
1985), l'édification du bâtiment n°2 de la rue des Récollets. René GATE
dans sa lettre ne parle pas des bureaux de la direction qui seront installés
dans le bâtiment n°1. Les travaux commencent le 20 juillet mais Marcel MOREL,
rentrant à l'usine le 23 août 1926, après quinze jours d'absence a la désagréable
surprise d'observer que le chantier, dirigé par l'entrepreneur Paul RICHER,
n'avance pas alors que la première partie "doit
être terminée d'après contrat le premier novembre 1926",
c'est-à-dire neuf semaines plus tard[xxii].
Nous pouvons déjà remarquer un retard par rapport à la date prévue
initialement dans la lettre du 12 mai 1926 qui mentionnait : "(...) de façon à ce que
nous prenions possession de ces nouveaux immeubles avant le mois de
septembre".
Marcel
MOREL se plaint donc au maître-d'oeuvre, l'architecte Louis GAUVIN en lui
rappelant la clause du contrat stipulant "cent francs par jour d'indemnité de retard"[xxiii].
Mais l'hiver arrive et avec lui "le
froid [qui empêche] les travaux"[xxiv].
Le plancher du deuxième étage est cependant coulé, le temps du mercredi étant
au dégel ; cependant, messieurs MOREL et GATE sont assez sceptiques : "Nous
espérons que la gelée de cette nuit n'aura pas trop d'effet sur le
ciment". Notons que l'entrepreneur a déjà, à cette époque, soixante
jours de retard par rapport à la date mentionnée initialement sur le contrat.
C'est
alors que monsieur René GATE, "examinant le plan de la coupe" du bâtiment et
notamment celui du deuxième étage, constate, démonstration mathématique à
l'appui, que le côté façade de l'étage est insuffisamment éclairé pour y
installer la salle de coupe et il demande donc à l'architecte GAUVIN d'y remédier
: "(...) vous saurez que cet atelier de coupe doit être très clair
et qu'au besoin nous n'hésiterions pas une seconde à sacrifier n'importe quel
motif décoratif quitte même à aller jusqu'à la laideur pour avoir en coupe
un éclairage parfait. (...)"[xxv]
Les
travaux continuent et les premières factures des entrepreneurs pour supplément
aux frais arrivent, notamment celle de la maison PINTO & PHILIPPE qui se
monte à 153.575 francs. Messieurs MOREL et GATE à qui l'architecte GAUVIN répétait
jusque-là que "les
dépenses dépassent de très peu [les] prévisions"[xxvi]
commencent à s'inquiéter en pensant aux autres factures à venir. D'autres
raisons de s'inquiéter vont bientôt venir s'ajouter à la précédente : en
effet, en juillet 1927, "des infiltrations d'eau [ont lieu] entre les fenêtres et le
sol" dans la partie nord du bâtiment et René GATE se demande s'il
ne s'agit pas "d'une perméabilité du ciment ou de mauvaises jonctions des fenêtres
avec les soubassements en ciment (...)"[xxvii].
D'autre part, au mois de septembre 1927, Marcel MOREL observe qu'"à
deux ou trois endroits, les chapes de ciment des planchers se sont fissurés et
même au centre du bâtiment le fendillement du plancher se manifeste
en dessous dans le béton. Egalement, près de la grande porte cochère de la
cave, le plancher présente des fendillements (...)"[xxviii]
sans doute dûs au fait que faute de raccordement par monsieur TOTEREAU des
tuyaux de descente des eaux aux caniveaux, l'eau se répandait depuis plus de
quatre mois "sur la terrasse" et jusqu'"au pied des fondations".
Marcel MOREL semble craindre aussi "des
tassements (...) dans la construction"[xxix].
Ayant
décidé d'emménager dans les nouveaux locaux à la mi-octobre 1927 "au plus tard",
René GATE écrit le 30 septembre 1927 au bâtisseur P. RICHER afin qu'il se hâte
de terminer l'escalier d'entrée du bâtiment de la rue des Récollets, les électriciens
finissant, à ce moment même, d'installer "la lumière".
Mais monsieur RICHER n'en a cure puisque le mardi 11 octobre 1927 "l'escalier
rue des Récollets est impraticable" ce qui amène Marcel MOREL à
réitérer la demande de son associé[xxx] prétextant l'emménagement
rapide dans les nouveaux locaux : "Nous allons entrer dans nos
nouveaux bâtiments lundi. Le déménagement de l'ancienne usine commencera
samedi prochain 15 octobre (...)".
Rien y fait, P. RICHER le 14 octobre 1927 n'a pas encore terminé l'escalier. De
guerre lasse, René GATE déclare au bâtisseur : "Nous emménageons la semaine
prochaine et le personnel rentrera par cette porte lundi 24 courant, date à
laquelle il faut coûte que coûte que cet escalier soit prêt"[xxxi].
Notons que l'entrée dans l'usine est reculée d'une semaine. Hélas, le 28
octobre, l'escalier n'est pas encore terminé
! P. RICHER n'ayant pas "commandé
en temps utile"[xxxii]
les fers de l'escalier...
Certains
entrepreneurs vont vite comprendre, à leurs dépens, qu'il n'est pas facile de
faire des économies sur les matériaux au détriment de la qualité du résultat
avec un propriétaire comme René GATE. En effet, sa formation d'ingénieur de
l'Ecole CENTRALE de Paris (E.C.P.) lui permet de contrôler très efficacement
la qualité du travail effectué par les entrepreneurs. C'est ainsi qu'il
remarque le 25 mai 1928 "que le dernier gravier qui
est actuellement en tas devant l'usine est de qualité très inférieure et
comprend certainement plus de sable ou de terre que de gravier. Celui qui a été
précédemment employé n'était pas déjà très bon mais le dernier paraît
tout à fait inutilisable, à moins d'être criblé"[xxxiii].
René GATE écrit donc à monsieur RICHER et, par mesure de sécurité, en réfère
aussitôt à l'architecte Louis GAUVIN auquel il affirme "(...) Réellement le dernier gravier est tout à fait défectueux,
je ne crois pas possible d'assurer les proportions voulues en mélange avec un
pareil matériau."[xxxiv]
Accoutumé
à attendre, Marcel MOREL préfère prendre les devants lors de la construction
de la salle du moteur en avertissant monsieur GAUVIN que P. RICHER ne devra pas
construire la salle du moteur "aux
dépens de la construction actuellement en cours"[xxxv]
; il ajoute que pour ce faire, "monsieur
RICHER devra donc employer un supplément d'ouvriers".
Suite à cela, Marcel MOREL écrit à la société suisse WINTERTHUR pour connaître
les nécessités de la consistance du terrain sur lequel reposera le moteur ;
informations qu'il délivre à Louis GAUVIN le 16 juin 1928[xxxvi].
C'est à cette époque, en 1928, que sont installés le premier moteur
WINTERTHUR de cent vingt chevaux ainsi que deux réservoirs et une pompe à
mazout[xxxvii]
; le tout servant de groupe électrogène à l'usine MOREL & GATE.
Mais
le retard dans les travaux entraîne en août 1928 un retard dans la production "faute
de place"[xxxviii].
Ceci amène messieurs MOREL et GATE à prier Louis GAUVIN de "faire
presser davantage le chantier RICHER dans l'éxécution des travaux de nos deux
bâtiments en cours".
Nous apprenons, de fait, que le raccordement entre l'atelier et le nouveau bâtiment,
dont il était question dans la lettre à L. GAUVIN du 20 mai 1926, n'a pas été
encore effectué[xxxix]
ce qui empêche l'accès entre la salle des machines de l'atelier et les salles
de piqûre et de coupe du nouveau bâtiment. Mais dans le même temps, messieurs
MOREL et GATE craignent que l'ouverture de la cloison n'amène du plâtre, de la
peinture ou du ciment sur les chaussures, ce qui "n'est pas chose
possible"[xl].
En
outre, les fissures hantent à nouveaux les pensées des deux associés qui
observent le 23 octobre 1928 des suintements au troisième étage du bâtiment
de la rue des récollets[xli].
Mais leur peur est de courte durée puisque le 5 novembre 1928, dans la matinée,
ils s'installent dans le bâtiment de la rue des Récollets considéré "comme
terminé" hormis le finissage extérieur[xlii].
Marcel
MOREL a cependant de nouvelles plaintes à formuler auprès de GAUVIN concernant
les entrepreneurs RICHER, FROUMENTIN, TOTTEREAU et JALLAMION & BARRE ; les
uns parce qu'ils ne parviennent pas à se mettre d'accord sur les tarifs, les
autres parce qu'ils exigent un paiement immédiat, avant même que l'architecte
GAUVIN n'ait inspecté les travaux finis ; c'est le cas de JALLAMION & BARRE
qui ont posé les plâtres de la salle du moteur, plâtres qui[xliii] "ont
des ondulations qui n'ont rien à voir avec une verticale" !
C'est
au moment où le bâtiment est terminé que les maçons, les contremaîtres,
monsieur RICHER et messieurs MOREL et GATE remarquent "la légèreté de l'encorbellement supportant les poutres et que
tout le monde a trouvé à l'oeil, trop faible (...)"[xliv].
Louis GAUVIN, en effet, avait basé ses calculs concernant le plancher en béton
armé, en fonction, certes, des charges mais aussi en fonction du prix ; car
construire un plancher pouvant porter une charge supérieure à 650 kilogrammes
au mètre carré coûtait beaucoup plus cher. De plus, ayant déjà construit
l'usine des chaussures NOEL à Vitré, Louis GAUVIN pensait que l'outillage mécanique
ne serait composé que des machines à coudre et autre petit matériel, mais pas
du tout des presses de coupe pesant une tonne ![xlv]
René
GATE envoie d'ailleurs, le 5 octobre 1929, à Louis GAUVIN une lettre recommandée
lui demandant de faire venir un expert de la maison HENNEBIQUE pour étudier les
fissures se produisant dans les poutres du premier bâtiment rue des Prés : on
apprend que "plus
de 50% des poutres à la naissance des piliers et de chaque côté présentent
des fissures très nettes" et
que "Certaines poutres de la coupe
et de la piqûre présentent dans une seule travée et dans toute leur hauteur
jusqu'à quatre fissures". Ceci inquiète tellement les associés
que René GATE ajoute qu'"A trop regarder ces fissures et à trop les décompter nous
arrivons à nous figurer qu'elles s'aggrandissent et que le bâtiment risque un
jour d'être en danger",
le bâtiment ne présentant pas, selon lui, de sécurité[xlvi].
Le cauchemar continu quand Marcel MOREL constate, le 20 novembre 1929, que dans
le bâtiment stockant la peausserie, rue des Récollets, l'eau de pluie
s'infiltre à travers la toiture[xlvii].
Enfin,
le 28 juin 1930, monsieur MOREL nous annonce que "tout
est terminé à part le mur de clôture"[xlviii]...
mur de clôture qui se fait attendre puisque le 2 juillet 1930 : "Nous
demandons ce jour à monsieur PINTO s'il faut aller chercher un autre
entrepreneur pour continuer et terminer le travail rue des Récollets
(...)"[xlix].
Le
bilan est admirable : l'architecture en béton armé est massive, prestigieuse,
avec un certain classicisme reconnaissable par la tour qui fait l'angle entre la
rue des Récollets et la rue des Prés, ainsi que les bâtiments adjacents
figurant, en quelque sorte, les ailes et rappelant un peu les châteaux de la
Renaissance. On trouve aussi des corniches moulées dans du béton. Par
ailleurs, les chapiteaux sont évoqués au milieu des grands pilastres de
couleur marron qui encadrent les ouvertures[l].
On trouve aussi, à l'angle de la rue des Récollets, une porte monumentale,
impressionnante certes, surtout par rapport à la porte de l'atelier contiguë,
mais qu'Ernest PREVOS avait dessiné dans le but de rassurer le client pénétrant
par cette porte (n'oublions pas que la réception se trouvait derrière) en lui
donnant à penser que la fabrique MOREL & GATE était une grande maison
solide et qu'ainsi il pouvait traiter avec eux en toute confiance. Nous trouvons
avec cette porte le même système que dans la construction des entrées des
banques : mettre en confiance le client. L'architecte Loïc PREVOS, le fils
d'Ernest PREVOS, ajoute que le but de ce dernier, d'origine modeste ne
l'oublions pas, n'avait pas du tout été de chercher à infantiliser les
personnes passant par cette porte[li],
l'escalier devant la porte monumentale n'étant dû qu'à la nécessité d'avoir
un atelier de plein pied, jouxtant les bureaux, obligeant ainsi à construire un
escalier à une extrémité et à creuser à l'autre puisque la rue des Récollets
est en pente[lii].
Outre
le cachet qu'apporte à l'usine la tour d'angle, il faut savoir qu'elle fut
utilisée tout au long de la vie de l'entreprise comme citerne alimentée en eau
(pas par l'eau de pluie) et qui pouvait, en cas d'incendie, inonder les ateliers
concernés, ce qui aurait fait, selon Pierre MOREL, plus de dégâts que si l'on
avait utilisé des extincteurs à mousse carbonique[liii].
3) La construction de la
nouvelle usine : l'appel aux mosaïstes, les frères ODORICO.
Au cours de la construction, messieurs MOREL et GATE, poussés par
l'architecte GAUVIN, lui-même poussé par son gendre Ernest PREVOS, décident
de faire appel à des mosaïstes italiens, Isidore et Vincent ODORICO. Comme
Ernest PREVOS, les frères ODORICO sont issus d'une famille d'immigrés italiens
venus du Frioul dans la province d'Oudine en Italie du nord, jusqu'en France.
Ils arrivent à Rennes au XIXème siècle apportant avec eux une technique
originale de pose de mosaïques de pâte de verre et de grès céram[liv].
Très vite les frères ODORICO font de Rennes l'un des centres de production de
mosaïques le plus important pour la France[lv].
On trouve de nombreux points communs entre les frères ODORICO et Ernest PREVOS,
ce qui peut expliquer pourquoi ce dernier a fait appel à eux : ils sont tous
trois immigrés ; par ailleurs, Oscar PREVOS, le père d'Ernest était émailleur
(Emaillerie AUBECQ)[lvi],
profession qui a quelques points communs avec celle de mosaïste. Enfin, depuis
la fin du XIXème siècle, avec le foisonnement des constructions (écoles,
mairies, églises...) les liens entre les architectes et les mosaïstes se sont
étroitement resserrés[lvii].
Ajoutons à cela au même moment, la volonté personnelle de monsieur MOREL de
faire installer des mosaïques dans sa villa de Jullouville[lviii]
et nous comprenons pourquoi il a été fait appel à l'entreprise ODORICO frères.
L'usine
MOREL & GATE est une des premières grandes réalisations d'ODORICO frères.
C'est avec cette usine que ces mosaïstes vont amorcer leur évolution vers le
monumental. La façade principale est ornée de deux coqs en médaillon autour
du nom d'Ange MOREL en hommage au fondateur. Les frises ont une teinte variant
du jaune orangé au bleu selon l'étage et possèdent de nombreuses formes art déco
avec des éventails, des triangles... ce qui est tout nouveau à Fougères à l'époque
et qui se poursuivra un peu plus tard lors de la construction de l'usine
BARBIER, du même style...et de la même famille que monsieur GATE[lix]. On retrouve aussi des
mosaïques sur les bâtiments de la fabrique AVENIR, rue PASTEUR (actuellement
MINELLI, groupe ANDRE).
Mais
revenons à la construction. ODORICO a, dès le début, du retard dans ses
travaux de l'usine MOREL & GATE ce qui amène Louis GAUVIN à aller chaque
semaine à Rennes pour faire activer l'ouvrage en cours. Mais ceci n'est pas
suffisant, René GATE écrit donc personnellement une lettre de réclamations à
ODORICO, le 23 février 1927, pour lui demander d'utiliser les échafaudages
laissés par monsieur RICHER ; le ton se fait plus dur sur la fin lorsqu'il déclare
"J'espère ne pas avoir
besoin de revenir là-dessus et ne pas avoir à vous faire des réclamations qui
deviendraient vite désagréables ayant l'habitude dans mon affaire du moins de
voir marcher les choses au chronomètre (...)"[lx].
A la suite de quoi, deux jours plus tard, une lettre des frères ODORICO
parvient à messieurs MOREL & GATE déclarant : "Nous reconnaissons volontiers notre retard, et nous nous excusons
mais soyez persuadé que vous aurez incessamment satisfaction. Les mosaïques
intérieures pour les dallages sont d'ailleurs prêtes, et nous sommes à même
d'en faire expédition de suite"[lxi].
Mais les semaines et les mois passent et ODORICO frères ne donnent plus signe
de vie. Messieurs MOREL et GATE se plaignent donc à GAUVIN argumentant que ce
dernier leur avait promis de n'engager que des "maisons sérieuses tenant leurs engagements (...)"
et que depuis deux mois "comme soeur
Anne, [ils attendent] chaque jour"[lxii].
A
cette époque, messieurs MOREL et GATE parlent même de la "catégorie
ODORICO" pour qualifier les entrepreneurs du chantier lents au
travail ou en retard[lxiii].
Messieurs
ODORICO se sentent tout de même obligés de répondre aux associés lorsqu'il
s'agit d'accuser réception du chèque et font à ce moment de "bonnes promesses"[lxiv]
à ces derniers ; mais après, ils ne prennent pas la peine de répondre à la
lettre de réclamation envoyée par MOREL & GATE le 8 juin 1927. René GATE
décide donc d'en écrire une deuxième dans laquelle il affirme aux deux frères
qu'ils vont "retarder le cimentier par [leur] lenteur (...)"[lxv].
L'année suivante, Marcel MOREL, au nom des deux associés, écrit de nouveau
aux frères ODORICO pour leur demander s'il peut ou non compter sur eux pour les
travaux du bâtiment de la rue des Récollets ; en effet, nous apprenons qu'un
rendez-vous avait été pris à l'usine entre messieurs MOREL et GATE et l'un
des deux frères par l'intermédiaire de GAUVIN pour la journée du 24 septembre
1928, mais qu'ODORICO ne s'est pas déplacé à Fougères[lxvi].
Néanmoins, on remarque ici la volonté de Marcel MOREL de faire tout de même
appel aux frères ODORICO, possédant déjà une solide réputation de mosaïstes.
Il sait qu'il n'a pas le choix. Il écrit donc le même jour une lettre à
l'entrepreneur P. RICHER afin qu'il insiste auprès d'ODORICO pour exécuter les
travaux.
Malgré
toutes ces réclamations, la société ODORICO frères ne donne pas signe de vie
; ils ne répondent même pas à la lettre du 24 septembre 1928.
MOREL
et GATE, excédés par une telle attitude leur réécrivent donc une nouvelle
fois le premier octobre 1928. Je crois nécessaire de citer intégralement la
lettre, les auteurs y mettant assez d'ironie : "Sans
nouvelle de notre lettre du 24 septembre laquelle ne vous est pas parvenue car
vous nous auriez certainement répondu ! Pourriez-vous
avoir l'obligeance extrême de nous faire savoir la date à laquelle vous
comptez commencer vos travaux à l'usine. Comme cette lettre ne vous parviendra
peut-être pas encore, nous prendrons la liberté de vous écrire chaque jour
jusqu'à réponse de votre part.
Messieurs
MOREL et GATE"
ODORICO
se décide tout de même à venir installer les mosaïques. Marcel MOREL lui
demande alors de commencer avec ses ouvriers de décorer "le départ d'escalier (attendu depuis dix-huit mois)"[lxvii].
Après l'escalier, ODORICO installe la frise du moteur, mais il ne tient pas
compte du temps et pose la mosaïque alors qu'il gèle, ce qui amène les
smaltes[lxviii]
à se détacher. René GATE ajoute qu'il a aussi surpris deux enfants s'amusant
à chiper des carrés de mosaïque et demande donc réparation aux frères
ODORICO[lxix].
Ceci sera fait...ultérieurement...
[i]
Entretien du 11/10/1994 avec monsieur MOREL (P.), sous-directeur de
l'entreprise MOREL & GATE chargé de la fabrication et des relations
avec le personnel.
[ii]
Jugement rendu par le tribunal civil de Fougères, le 16/11/1921.
[iii]
A.D.I.V. - 4U12-115 : Acte du 17/9/1921.
[iv]
A.D.I.V. - 4U12-116 : Acte du 25/3/1922.
[v]
A.D.I.V. - 4U12-116 : Acte du 25/3/1922.
[vi]
MOREL (P.), "op. cit.", 11/10/1994.
[vii]
A.D.I.V. - 4U12-118 : Acte du 9/5/1924.
[viii]
A.D.I.V. - 4U12-118 : Acte du 9/5/1924.
[ix]
A.M.F. - 1AI, fonds MOREL & GATE : Statuts.
[x]
... puisqu'on les retrouve souvent représentant les membres absents de la
famille MOREL lors des conseils de famille. En outre, Emile TOUTAIN est un
de ceux qui a jugé nécessaire d'interdire Ange MOREL, le 17/9/1921
(A.D.I.V. - 4U12-115 : Acte du 17/9/1921).
[xi]
A M.F. - 1AI, fonds MOREL & GATE : Statuts, lettre de monsieur ALMIRE,
conseiller fiscal et juridique à Rennes à messieurs MOREL et GATE,
18/8/1943 : Marcel MOREL apportant 297.000 francs et René GATE apportant
203.000 francs (francs courants).
[xii]
... par des querelles familiales par exemple.
[xiii]
A.M.F. - 1AI, fonds MOREL & GATE : Statuts, brouillon.
[xiv]
GUENE (H.), ODORICO, mosaïste art déco, Bruxelles, édition des
archives d'architecture moderne, 1991.
[xv]
Entretien du 14/10/1994 avec monsieur MACE, ouvrier coupeur de l'usine MOREL
& GATE.
[xvi]
LE MAROIS (H.), "Conférence sur le clos MOREL", Bulletin
de la Société Archéologique et Historique de l'arrondissement de Fougères,
tome XI, 4/1967, p.34.
Vicomte
LE BOUTEILLER (C.), Etude sur les rues et les maisons de Fougères aux
divers époques de l'histoire, tome III, document manuscrit, copie vers
1947/1948, p.171, B.M.F. : MS42. (original "début XXème", B.M.F.
: MS20).
[xvii]
LE MAROIS (H.), "op. cit.", "Conférence..."
[xviii]
A.M.F. - M, fonds MOREL & GATE : Correspondance, lettre du 12/5/1926 de
MOREL & GATE à L. GAUVIN.
[xix]
MOREL (P.), "op. cit.", 11/10/1994.
A.M.F.
- 1D, fonds MOREL & GATE : Domaine, terrains : en 1925, MOREL & GATE
avaient cédé pour 58.840 francs de terrain à la ville de Fougères.
[xx]
Archives privées de monsieur Loïc PREVOS et entretien avec Loïc PREVOS,
lui aussi architecte mais à Acigné le 24/2/1995.
[xxi]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de MOREL & GATE à L. GAUVIN,
20/5/1926.
[xxii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à L. GAUVIN,
23/8/1926.
[xxiii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre du 23/8/1926 de M. MOREL à L.
GAUVIN.
[xxiv]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à L. GAUVIN,
30/12/1926.
[xxv]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à L. GAUVIN,
31/12/1926.
[xxvi]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à GAUVIN, 23/5/1927.
[xxvii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à L. GAUVIN, 9/7/1927.
[xxviii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à L. GAUVIN,
16/9/1927.
[xxix]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à L. GAUVIN,
16/9/1927.
[xxx]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à P. RICHER,
11/10/1927.
[xxxi]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à P. RICHER,
14/10/1927.
[xxxii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à P. RICHER,
28/10/1927.
[xxxiii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à P. RICHER, 25/5/1928.
[xxxiv]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à L. GAUVIN, 25/5/1928.
[xxxv]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à L. GAUVIN, 6/6/1928.
[xxxvi]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à L. GAUVIN,
16/6/1928.
[xxxvii]
A.M.F. - 1GI, fonds MOREL & GATE : Comptabilité générale, exercice
1941.
[xxxviii]
A.M.F. - M, fonds MOREL & GATE : Correspondance, lettre de MOREL &
GATE à L. GAUVIN, 14/8/1928.
[xxxix]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de MOREL & GATE à L. GAUVIN,
8/10/1928.
[xl]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de MOREL & GATE à L. GAUVIN,
8/10/1928.
[xli]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de MOREL & GATE à L. GAUVIN,
23/10/1928.
[xlii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à L. GAUVIN,
5/11/1928.
[xliii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à GAUVIN, 5/11/1928.
[xliv]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à L. GAUVIN, 23/4/1929.
[xlv]
Entretien du 24/2/1995 avec monsieur PREVOS (L.), architecte petit fils de
l'architecte L. GAUVIN et fils de l'architecte E. PREVOS.
[xlvi]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à L. GAUVIN, 5/10/1929.
[xlvii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre
de M. MOREL à L. GAUVIN, 20/11/1929.
[xlviii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à L. GAUVIN,
28/5/1930.
[xlix]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de MOREL & GATE à L. GAUVIN,
2/7/1930.
[l]
Visite du quartier de BONABRY avec monsieur HERISSET (J.), le 1/10/1994.
[li]
Entretien du 24/2/1995 avec monsieur PREVOS (L.), "op. cit.".
[lii]
Entretien du 11/10/1994 avec monsieur MOREL (P.), sous-directeur de
l'entreprise MOREL & GATE chargé de la fabrication et des relations
avec le personnel.
[liii]
MOREL (P.), "op. cit.", 11/10/1994.
[liv]
"ODORICO mosaïste", émission télévisée de France 3,
22/10/1994, 16h15, émission de 1992.
[lv]
GUENE (H.), ODORICO, mosaïste art déco, Bruxelles, édition des
archives d'architecture moderne, 1991, p.56.
[lvi]
Entretien du 24/2/1995 avec monsieur PREVOS (Loïc), "op. cit.".
[lvii]
GUENE (H.), "op. cit.", "ODORICO...", p.86.
[lviii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de M. MOREL à L. GAUVIN,
5/11/1928.
[lix]
MOREL (P.), "op. cit.", 11/10/1994.
[lx]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à M. ODORICO,
23/2/1927.
Notons
l'expression "au chronomètre" ; le chronométrage n'était pas
encore installé chez MOREL & GATE à l'époque. Il va de soi qu'il
s'agit ici d'une image.
[lxi]
A.M.F. - M, "op. cit.", cité dans la lettre de MOREL & GATE
à L. GAUVIN, 22/4/1927.
[lxii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de MOREL & GATE à L. GAUVIN,
22/4/1927.
[lxiii]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de MOREL & GATE à L. GAUVIN,
25/4/1927.
[lxiv]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à messieurs ODORICO,
14/6/1927.
[lxv]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à messieurs ODORICO,
14/6/1927.
[lxvi]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de MOREL & GATE à ODORICO Frères,
24/9/1928.
[lxvii]
A.M.F. - M, "op. cit", lettre de M. MOREL à ODORICO Frères,
29/10/1928.
[lxviii]
"Fragments de verre ou d'émail colorés différemment, et dont la
composition peut varier dans de grandes limites." (GUENE (H.),
"op. cit.", ODORICO..., p.57, citant le Nouveau Manuel
complet du verrier et du fabricant de glaces et de cristaux.
[lxix]
A.M.F. - M, "op. cit.", lettre de R. GATE à L. GAUVIN, 4/3/1929.
C] LA MARCHE DES AFFAIRES.
L'entreprise
combine ou tout au moins a combiné deux facteurs de production essentiels à
son existence : les travailleurs salariés et les capitaux. Nous avons pu
observer au cours de la partie précédente à quel point l'industrie de la
chaussure est une industrie de main-d'oeuvre : l'activité de beaucoup
d'ouvriers est requise. MOREL & GATE a été une des entreprises fougeraises
qui a employé le plus de salariés tout au long de son existence, la moyenne
des effectifs tournant autour de 475 personnes[i].
Mais si l'homme et sa force de travail représentent le bras exécutant de
l'entreprise, l'argent, quant à lui, en est la tête : c'est lui qui est le
moteur du système dans lequel évolue l'entreprise. Selon l'expression de François
PERROUX[ii] : "Pourvu
qu'elle puisse vendre son produit au coût ou au-dessus du coût, l'entreprise
est satisfaite"[iii].
Il est donc capital, dans le cadre d'une recherche concernant une manufacture de
chaussures, de tenter d'étudier l'activité de l'entreprise entre 1925 et 1976.
L'absence de documents concernant les finances de l'entreprise avant 1925 ne me
permettant pas de constituer une ébauche fiable de la traversée des premières
années de l'entreprise de 1886 à 1924, ce travail va donc être centré sur l'époque
des successeurs : MOREL et GATE.
Tout
d'abord, il convient de présenter les documents qui ont nourri l'analyse puis
la méthode utilisée pour le traitement des informations recueillies. La première
source, essentielle, est composée par les exercices annuels de l'entreprise.
Ils constituent la base de ce travail mais ne sont pas exempts de défauts, en
effet, en raison de l'absence de tout plan comptable normalisé pendant
plusieurs années, les documents sont souvent difficiles à aborder avec rigueur
jusqu'en 1948. De plus, il s'agit de documents de synthèse représentant le
maillon final de toute une chaîne
d'opérations dont on n'a pas le suivi[iv].
Ces documents étaient destinés en premier lieu à l'Etat à des fins fiscales
afin d'établir la base de l'imposition de la société. Il y a donc, pour
l'historien, une crainte à avoir concernant le contenu de ce type de documents
mis à sa disposition : en effet, vu l'optique dans laquelle ils sont remplis,
l'on peut émettre l'hypothèse possible que les services comptables ont utilisé
le vaste arsenal mis à leur disposition par la loi pour maximiser les charges
et minimiser les profits. Ces documents étaient aussi destinés à la Direction
de l'entreprise comme outil de gestion et aux banques soucieuses de connaître
la situation économique de la société et
l'utilisation des capitaux qu'elles avaient avancés[v].
Il est donc nécessaire de tenter de remédier à ces problèmes en glanant le
plus d'informations possibles dans les ouvrages divers, les journaux spécialisés
(CHAUSSER, L'INDEPENDANT CHAUSSURE, L'INDUSTRIE DE LA CHAUSSURE DE FRANCE,
BULLETIN DE L'INSTITUT DE CALCEOLOGIE...), dans la presse locale et régionale
(CHRONIQUE REPUBLICAINE et OUEST FRANCE par sondages) ainsi que dans les
entretiens avec les acteurs de l'histoire.
La
deuxième série d'informations provient des comptes rendus annuels du Conseil
d'Administration de l'entreprise, mais nous verrons plus loin à quel point il
est délicat de les utiliser.
Enfin,
la dernière source nous est livrée par l'évolution des statuts des
entreprises tout au long de ces cinquante et une années.
Pour
effectuer une étude économique et financière de l'entreprise à long terme,
il est apparu nécessaire d'uniformiser les données afin de permettre des
comparaisons dans le temps. Ceci explique l'utilisation d'une année de référence,
1938, pour la conversion des francs courants (non
corrigés des effets de l'inflation et des politiques économiques menés par
les divers gouvernements qui se sont succédés durant ces cinquante et une années
: dévaluation de 1936, de 1937, de 1938, franc PINAY de 1960...) en francs
constants (corrigés).
Il
m'a paru nécessaire aussi d'organiser la recherche à partir d'un outil
d'analyse clair d'où l'utilisation de certains livres d'analyse financière, de
gestion de l'entreprise, de comptabilité et d'économie politique.
L'utilisation des informations recueillies et traitées m'a permis par la suite
d'avoir une vision que ne possédait pas à l'époque la Direction de
l'entreprise.
1) 1925-1939 : la société
face aux crises.
Quand
la société MOREL & GATE est créée le 29 juillet 1926, il s'agit d'une
Société en Nom Collectif (S.N.C.). La S.N.C. est une société de personnes,
c'est-à-dire qu'elle regroupe un petit nombre d'individus, dans notre cas
messieurs MOREL et GATE, se connaissant suffisamment pour se faire confiance.
Les sociétés de personnes ne permettent généralement pas de réunir des
capitaux élevés car les gérants sont responsables de la gestion sur leurs
biens personnels en cas de faillite. De surcroît, en cas de résultat net négatif,
le déficit remonte automatiquement jusqu'aux associés en imputant sur le
revenu global de chacun d'eux la quote part de déficit qui lui revient[vi].
La S.N.C. ne fait pas appel à des capitaux extérieurs par division du capital
en actions d'où un capital limité. Notons que la S.N.C. est l'entreprise sociétaire
qui s'est le plus développée à Fougères. En tant que telle, la S.N.C. relève
de l'impôt sur le revenu et échappe à l'impôt sur les sociétés[vii].
C'est en pleine croissance industrielle que Marcel MOREL et René GATE
constituent leur société. La France connaît de 1924 à 1929 une accélération
de la croissance industrielle de 4,7%[viii]
ce qui la place "en tête du progrès industriel européen"[ix].
L'on voit à Fougères se multiplier les fabriques de chaussures (J.B. MARTIN en
1921...) qui auraient doublé entre 1914 et 1926[x].
Mais la croissance est, à l'époque, modérée et très lente (indice autour de
115, base 100 en 1913)[xi];
de plus, la situation économique de la France est loin d'être florissante
depuis le début de la crise économique de 1920 qui entraîna un effondrement
des prix et qui culmina en juillet 1926, "le
cours du dollar s'établissant à près de 50 francs" (contre 5,13
francs en 1913)[xii].
L'arrivée de Raymond POINCARE en juillet 1926 va permettre le redressement de
la situation. En France, généralement, la prospérité se prolonge jusqu'en
1931[xiii].
Mais dans le secteur du cuir, la concurrence étrangère fait rage en France et
dans l'empire colonial : dès 1927 on observe une augmentation des importations
de chaussures d'Allemagne et de Tchécoslovaquie (BATA[xiv])
: Daniel BOUFFORT donne les chiffres de 349.000 paires en 1928, 1.013.000 paires
en 1930 et 4.054.000 paires en 1931[xv].
L'industrie du cuir français est gravement touchée, les faillites et
liquidations judiciaires se multiplient, particulièrement à partir de 1927
jusqu'en 1932[xvi]. Face à cela, le député
de Fougères, monsieur LEFAS, ainsi que les patrons fougerais de la chaussure,
représentés par Gaston CORDIER, ne cessent de demander au gouvernement français
des mesures afin d'augmenter les tarifs douaniers et de créer un
contingentement des chaussures étrangères[xvii].
Au mois de novembre 1931, les tarifs douaniers sont relevés de 25% et le
contingentement est effectif à partir de juin 1932[xviii].
Face à la multitude de faillites de manufactures de chaussures à l'époque, le
conseiller fiscal de la société MOREL & GATE prend conscience du risque de
ses clients et décide messieurs MOREL et GATE de modifier les statuts de
l'entreprise qui devient une Société à Responsabilité Limité (S.A.R.L.) le
29 décembre 1928[xix]. Ainsi, "aucun
des associés ne sera tenu envers les tiers au delà de sa mise"[xx],
c'est-à-dire qu'en cas de faillite, messieurs MOREL et GATE n'auraient pas à
devoir prélever dans leurs biens personnels pour rembourser les pertes. Il
semble que la société MOREL & GATE se soit constituée en S.A.R.L. et non
en S.A.R.L. de famille comme ils le pouvaient. La différence réside dans le régime
fiscal : la S.A.R.L. de famille relève de l'impôt sur le revenu alors que la
S.A.R.L. relève de l'impôt sur les sociétés et est l'objet d'une double
imposition des bénéfices ![xxi]
De fait, le 27 novembre 1933, monsieur GATE écrit à Robert de la MOTTE : "(...)
Tout notre malheur et les suppléments d'impôt que nous avons dû payer
viennent de notre transformation primitive en S.A.R.L., qui a été une
malencontreuse opération. (...) L'économie de quelques billets de mille sur la
somme d'impôt formidable que nous payons ne justifia pas cette transformation
de société, qui en définitive s'est traduite par une augmentation des charges
(...)"[xxii].
Cependant MOREL & GATE ne s'en sort pas trop mal : même si la vente des
chaussures par ses représentants baisse de 8689 paires entre 1929 et 1930,
l'entreprise se rattrape en 1931 où les ventes totales atteignent 270.111
paires soit 15765 paires de vendues de plus qu'en 1930[xxiii]. Il en résulte une
hausse du chiffre d'affaires entre 1930 et 1931 et le bénéfice est non négligeable
puisqu'il est d'environ 1,4 million de francs (francs constants de 1938) que les
associés se répartissent par moitié après le prélèvement d'un vingtième
pour la constitution d'un fonds de réserve[xxiv]
(auquel il faut ajouter un salaire mensuel de quatre mille francs (francs
courants)). Pourtant la crise se fait sentir à Fougères où les fabricants de
chaussures se plaignent des affaires : d'une part, les prix des chaussures
baissent et "c'est à peine s'ils arrivent à faire la moitié de leur
production"[xxv]
: le prix moyen de vente de la paire de chaussures MOREL & GATE décroît
entre 1931 et 1933 ; d'autre part, le chômage partiel commence à se faire très
lourdement sentir sur la place puisqu'en 1931 il "a frappé avant pâques
presque toutes les usines de la place"[xxvi]
et que "presque toutes les usines
ont été fermées entre le 15 et le 22 août"[xxvii]
1931. Sans avoir le décompte mensuel des effectifs pour cette époque nous
pouvons remarquer que le nombre moyen des ouvriers chez MOREL & GATE passe
de 436 en 1930 à 407 en 1933 ce qui laisse quelque peu transparaître la crise.
Fougères compte certes beaucoup d'entreprises de chaussures, mais ces
entreprises ne sont pas particulièrement importantes : les deux plus grosses,
CORDIER et MOREL & GATE voient leurs effectifs tourner autour de quatre cent
cinquante salariés alors qu'à Limoges pour ne prendre qu'un seul exemple
significatif, la fabrique de chaussures EHRLICH-MONTEUX compte environ mille
deux cents salariés début 1932[xxviii].
La force des usines fougeraises réside donc dans leur groupement au sein de la
Chambre Syndicale des Fabricants de Chaussures de Fougères sise dans l'usine
CORDIER. Cette chambre, regroupant près de quarante-cinq fabricants, se
regroupe par trois fois en octobre et novembre 1931 avec les syndicats ouvriers
pour mettre au point une stratégie locale de lutte contre la crise et pour préparer
les nouveaux contrats de leurs ouvriers prévus pour le premier mai 1932. Les
patrons prétextant la vente meilleur marché des chaussures des autres centres
et suite à la baisse des prix effectués pour leurs propres produits, demandent
à leurs ouvriers, qui subissent déjà "un
chômage grandissant"[xxix],
d'accepter une baisse des salaires et une modification du pourcentage de vie chère
de 20% à 10% démantelant ainsi le système des contrats mis en place en 1926[xxx].
Avec le refus des syndicats ouvriers fougerais, très bien organisés et
soutenus par la municipalité située majoritairement à gauche (S.F.I.O. et
Radicaux) depuis 1929[xxxi], et qui multiplie les
oeuvres sociales (crédits pour les vieillards, les chômeurs, les indigents,
construction de l'école laïque de la Madeleine, subvention à la Bourse du
Travail, construction nouvelle à l'hôpital...)[xxxii],
la situation se bloque et la grève générale est votée par les ouvriers
chaussonniers le 9 février 1932 vers minuit. Quant à l'usine MOREL & GATE,
la paye est arrêtée le 13 février 1932[xxxiii].
Il faut ajouter à cela deux autres sujets de mécontentement propre aux
ouvriers coupeurs et talonniers de MOREL & GATE : l'année 1932 amène un
nouveau modèle de chaussure décolleté baptisé "GOUNOD".
Ce modèle était composé de deux morceaux, avec la doublure : quatre morceaux,
et avec la baguette à l'intérieur de la claque : sept morceaux, d'où la plus
grande difficulté pour les coupeurs payés au nombre de pièces par heure
d'arriver à faire leurs soixante-cinq morceaux en une heure de temps avec ce
modèle qu'avec un autre qui est composé, par exemple, de trente-six morceaux
à la paire[xxxiv].
Par ailleurs, c'est au début de 1932 que l'entreprise MOREL & GATE
abandonne la fabrication des talons de cuir par ses ouvriers et décide de les
acheter tout fait ailleurs d'où une dépréciation du tarif de l'ouvrier qui
les fabriquait dans l'usine[xxxv].
Il y a donc dans l'usine MOREL & GATE deux déceptions internes qui viennent
s'ajouter au mécontentement général des ouvriers chaussonniers de Fougères (cf.
Annexes : La complainte des fabricants). Dès le 11 février 1932, messieurs
MOREL et GATE, dans une lettre recommandée adressée au maire, monsieur
WOELFFEL, placent "sous
votre sauvegarde et protection, nos familles ainsi que nos biens"[xxxvi].
Suite à cela, un peloton de trente gardes républicains stationnant dans et
devant l'usine MOREL & GATE se heurte, le 4 mars 1932, aux ouvriers et
charge à cheval une foule de femmes et d'enfants rue des Feuteries le 7 mars
1932[xxxvii].
Notons que durant la grève, tous les employés et la Direction de l'entreprise
MOREL & GATE restent en place[xxxviii],
certainement pour livrer les chaussures en stock aux négociants pour les
communions de Pâques ; l'un des enfants de Marcel MOREL, Pierre MOREL, vient même
aider à l'usine pendant les vacances de Pâques 1932[xxxix].
De plus il faut préparer le lancement de la nouvelle chaussure extra-souple
pour pied sensible du docteur HARRYS. En effet, il se trouve qu'un parent d'un
représentant de la maison, exerçant la profession de docteur, accepte de
parrainer une chaussure confortable fabriquée par MOREL & GATE. Le docteur
HARRYS est un nom purement commercial[xl],
peut-être était-ce le docteur M. DEVARS, orthopédiste de la faculté de médecine
de Lyon qui recommande dans une publicité la chaussure extra-souple HARRYS[xli].
Le lancement de cette chaussure entraîna une multiplication des marques à
docteurs dans les usines de Fougères, à commencer par l'entreprise BARBIER (de
la famille de monsieur GATE) avec le docteur HASLEY, puis par la suite la
production spécialisée pour pieds sensibles du docteur KHERSON de J.B. MARTIN,
les marques "docteur JEAN"
et "docteur JEANNE" de l'ABEILLE
FOUGERAISE, les pieds sensibles "docteur
MURISS" de l'usine FOURNIER-MORICE-COUPEAU, "docteur J.O." de la maison LESTANG...
Il
est intéressant d'observer qu'en pleine crise de l'investissement et de l'épargne[xlii],
MOREL & GATE va se moderniser en se dotant d'une chaîne cadencée, d'un
nouveau moteur WINTERTHUR (groupe électrogène) et en déposant la marque
docteur HARRYS en 1932 suivie bientôt, après la grève, par une sous marque de
la marque au COQ : MOREGA[xliii] créée suite à la
baisse du prix des chaussures[xliv].
Tout ces investissements représentent une somme de 194.904,23 francs en 1932 et
864.957,79 francs en 1933 (francs constants 1938) contre un endettement nul en
1932 et de 1179 francs en 1933 (francs 1938), l'entreprise s'autofinançant !
Avec
la grève, l'usine était remplie de chaussures en cours de fabrication et
l'atelier du dessous était plein de chariots portant des chaussures impossibles
à terminer (tableau des paires de chaussures en stock). Ceci amène les
contremaîtres et certains ouvriers (nombre très limité) à venir travailler
en cachette à l'usine, ces derniers entrant par une petite porte donnant sur la
rue CHANZY afin de ne pas se faire huer et être couvert du crachat des grévistes[xlv].
Une
fois que tout est prêt pour relancer la production, il faut faire revenir les
ouvriers grévistes à l'usine. Monsieur MOREL accepte donc, le 27 août 1932[xlvi],
"les
propositions ouvrières" suite à des pourparlers réengagés
depuis le 10 août 1932 avec les ouvriers syndiqués. L'entreprise rouvre ses
portes le 12 septembre 1932, le jour même de la signature d'un accord général
entre les deux forces[xlvii] en présence[xlviii].
Les conséquences financières de la grève sont relativement importantes chez
MOREL & GATE : elle se répercute sur les deux exercices comptables de 1932
et 1933 puisque l'entreprise arrêtait à l'époque ses résultats au 30 juin.
L'exercice 1932 comprend donc quatre mois et demi de grève et celui de 1933
deux mois et demi. Ils se soldent par une chute de la production vendue, du
chiffre d'affaires et du bénéfice net ; cette chute des profits résultant de
la baisse des prix et de la production. Au même moment, en France, entre 1929
et 1935, le volume des exportations baisse de 60%[xlix]
réduisant les possibilités d'écoulement de la production de l'usine à l'extérieur
de la France. L'ensemble de ces facteurs cumulés entraînent un effondrement
des investissements de l'entreprise de 1933 à 1936, cette dernière année
connaissant même un sous-investissement. Parallèlement, de 1932 à 1934, les
stocks de l'entreprise baissent, le chiffre d'affaires augmente ainsi que la
vente de chaussures. A cette époque, la société vit donc sur ses acquis :
elle liquide ses stocks, investit de moins en moins et vend de plus en plus.
Ajoutons à cela une transformation du statut de la société qui devient Société
de Fait à partir du 30 juin 1933[l],
c'est-à-dire qu'elle relève de nouveau de l'impôt sur le revenu et non plus
de l'impôt sur les sociétés et qu'elle n'est plus l'objet d'une double
imposition sur les bénéfices[li]. La combinaison de ces
facteurs entraîne une augmentation constante du bénéfice net de 1934 à 1936.
Mais le statut de Société de Fait est assez ambiguë : elle n'est pas dotée
de la personne morale, c'est-à-dire que son contrat n'est pas déclaré au
tribunal de commerce et que la société n'est pas immatriculée ; c'est une
société qui s'ignore[lii].
Mais ce peut-être aussi ici une société ratée, "au départ société
immatriculée (ici S.A.R.L.), puis annulée. Nullité car défaut d'élément
constitutif ? (articles 1832, 1733, 1844.20 du Code Civil). Attention, la nullité
est sans rétroactivité : les actes conclus ne sont pas remis en cause. Les
associés dont le comportement est à l'origine de l'annulation engagent leur
responsabilité civile"[liii]
? En tout cas, le but de cette transformation est d'obtenir des avantages
fiscaux ; mais très rapidement, la situation semble difficile à gérer et les
associés effectuent, le 3 mai 1934, une déclaration aux fins d'inscription
modificative et immatriculent leur société sous le numéro 5336[liv].
La
baisse des stocks laisse transparaître un autre sujet très préoccupant à
cette époque sur la place de Fougères : le chômage.
MOREL & GATE répond aux commandes (qui pourtant n'affluent pas sur
la place de Fougères, les clients allant s'approvisionner dans les autres
centres) en liquidant les stocks mais en ne produisant pas : la production
vendue augmente de 1932 à 1934 alors que le chômage se fait de plus en plus
sentir à Fougères. En 1932, les ouvriers qui travaillent à Fougères ne sont
occupés que de 24 à 28 heures par semaine et l'usine connaît durant ces années
plusieurs grèves au service piqûre suite à l'introduction de nouveaux modèles
n'ayant pas fait l'objet de discussion à la signature des contrats[lv].
Ces nouveaux modèles étaient certainement liés au lancement des marques
MOREGA, docteur HARRYS et ELECTA LUXE, cette dernière étant une marque "confidentielle"
créée "pour pallier la prétention de nombreux clients de villes assez
importantes exigeant l'exclusivité de notre marque sans justifier cette prétention
par des commandes suffisamment importantes (...)"[lvi]
et dont on trouve la trace dans l'usine à partir de 1929. Entre mars 1932 et
juillet 1934, treize manufactures de chaussures font faillite à Fougères,
accentuant encore un chômage que la création de coopératives ne parviendra
pas à endiguer totalement[lvii],
d'autant plus que les décrets-lois édictés en 1935 par le gouvernement LAVAL
entraîne l'interdiction de toute création et de tout agrandissement des usines
de chaussures. Mais Fougères n'est pas la plus mal lotie : quatre-vingt-dix
usines de chaussures ferment à Limoges entre 1928 et 1936, et trente ferment à
Paris entre 1930 et 1933[lviii].
Ceci laisse penser, à première vue, que Fougères ne s'en sort pas trop mal
par rapport au marasme que connait l'industrie de la chaussure en France, même
si en octobre 1934, un représentant de la maison tchécoslovaque BATA arrive à
Fougères dans le but de recruter les ouvriers chômeurs pour l'usine BATA de
Hellecourt, ce qui entraîne la constitution, en mars 1935, d'un groupe
parlementaire pour la "Défense
de la chaussure" et un "comité de défense de
l'industrie fougeraise"[lix].
-oOo-
Après
les événements de 1932, 1936 qui voit le Front Populaire arriver au pouvoir au
mois de mai, sera une année calme : les ouvriers chaussonniers de Fougères obéissent
au mot d'ordre du secrétaire national de la Fédération des cuirs et peaux
C.G.T. qui est aussi à la tête de la confédération locale : J. FOURNIER. Ce
dernier leur demande de "[rester]
calmes et disciplinés" et "de
ne rien faire avant d'avoir consulté la chambre patronale"[lx].
Le 7 juin 1936 sont signés les accords Matignon apportant aux ouvriers de
nouvelles mesures de législation du travail dont, entre autre, les congés payés[lxi]
d'une durée minimum de quinze jours dont au moins douze jours ouvrables, la
semaine de quarante heures[lxii]
et, dans les établissements occupant plus de dix personnes, la création de délégués
élus par le personnel pouvant se faire assister d'un représentant du syndicat
de la profession pour "présenter
à la direction les réclamations individuelles (...)", c'est-à-dire l'introduction du droit syndical dans les
entreprises[lxiii].
Ces
accords sont bien accueillis à Fougères où les délégations ouvrières et
patronales (CORDIER, BELLON, BERTIN, DESMOIRES, GATE, LORRE et MEREL)
s'entendent dès le 26 juin concernant les salaires et la semaine de quarante
heures (article 2, J.O. du 26/6/1936)[lxiv]
et le 30 juillet puis le 29 septembre 1936 pour les congés payés. Ce dernier
point faisant craindre aux patrons des difficultés de trésorerie, les nouveaux
horaires n'entreront en vigueur que le 15 mars 1937, au début de la période de
chômage partiel[lxv].
Quant
à l'usine MOREL & GATE, l'année 1936 se caractérise par une augmentation
de la production vendue mais par un chiffre d'affaires en baisse dû à un prix
moyen à la paire qui ne cesse de baisser entre 1935 et 1937 afin de lutter
contre la concurrence.
Les effets du Front Populaire se ressentent sur les investissements de
l'entreprise : il y a pour la première et unique fois de son histoire
(exception faite lors de la fin de l'entreprise en 1975) un "sous-investissement"
dû sans nul doute à une fuite des capitaux (mais aussi peut-être, dans une
moindre mesure, à la revente de la chaîne cadencée), situation qui se
stabilisera timidement par la nécessité d'investir l'année suivante et qui
redeviendra à peu près normale dans l'exercice 1938 suite à la démission, le
8 avril 1938, du cabinet BLUM remplacé par le radical socialiste Edouard
DALADIER qui se dote de pouvoirs spéciaux lui permettant, d'avril à juillet
1938 de faire passer des décrets concernant ,entre autre, le déblocage de crédits
pour le commerce et l'industrie grâce à des dévaluations du franc, et des
mesures pour rassurer les capitaux partis à l'étranger. Le chiffre d'affaires
s'en ressent aussi puisque de 1936 à 1938 il ne cesse de baisser. D'autre part,
le bénéfice net n'est pas utilisé pour financer les stocks, en baisse de 1936
à 1938 ni les investissements, nous l'avons vu. Malgré tout, la société
MOREL & GATE s'endette en 1937 en faisant un prêt de 342.000 francs (F.
1938) à l'Etat ; en effet, MOREL & GATE préfère placer ses capitaux à l'étranger,
pour qu'ils rapportent, et trouve un intérêt à emprunter pensant qu'avec la dévaluation
du franc l'entreprise aura moins à rembourser. Au niveau de la main- d'oeuvre,
le chômage est en baisse à Fougères à la fin de 1936 et l'entreprise occupe
d'ailleurs la totalité de son personnel quarante-huit heures par semaine entre
le mois d'octobre 1936 et février 1937 pour la préparation de la collection de
l'été suivant[lxvi]. A l'époque, en France,
on pense que la reprise est proche suite à la dévaluation du franc de 29% en
septembre 1936 ; la production des usines françaises, dont MOREL & GATE,
augmente ainsi que leurs exportations. Mais le chômage partiel revient dès le
mois de mars 1937 et connait son apogée en juin 1937 où MOREL & GATE
compte quarante-huit chômeurs complets parmi ses ouvriers, le reste de
l'effectif ne travaillant que vingt-quatre heures par semaine. La production
française stagne en 1937 puis chute en 1938 et les prix augmentent dès mars
1937[lxvii]. Il en va de même pour
la production de la maison MOREL & GATE en chute libre en 1937/38. Il est
intéressant d'observer à ce sujet que la production totale vendue en 1938 est
inférieure de 4400 paires à celle prévue par les carnets de commandes des
représentants. Les stocks laissant apparaître une réserve de 13776 paires, on
peut supposer que des clients ont annulés certaines de leurs commandes ou que
les représentants ont été contingentés, comme c'est arrivé parfois plus
tard dans une autre usine... mais ceci est peu probable ici.
Le
chômage partiel bat son plein tout au long de l'année 1938 dans l'usine où
une grande partie du personnel travaille entre seize et trente-deux heures par
semaine mis à part les mois habituels d'hiver en septembre, décembre 1938 et
en janvier 1939 où tous les ouvriers de l'usine travaillent quarante heures
dans la semaine[lxviii].
Ce retour du travail étant dû aussi au redressement de la France amorcé par
la politique de relance de Paul REYNAUD, alors ministre des finances du cabinet
DALADIER.
2) La seconde Guerre Mondiale
et ses bouleversements.
a) La mobilisation industrielle.
L'année 1939 se caractérise par une reprise de l'activité de
l'entreprise qui va se poursuivre pendant toute l'année. En effet, les ouvriers
dans leur grande majorité travaillent quarante heures par semaine voire même
quarante-quatre heures en février et mars 1939[lxix].
Mais le 3 septembre 1939, la France, suite à l'entrée de la Wehrmacht en
Pologne le premier septembre 1939, déclare la guerre à l'Allemagne. Chez MOREL
& GATE, l'intendance des cuirs et peaux oblige l'entreprise à délaisser la
production de chaussures de luxe pour dames au profit de brodequins militaires "superbement
faits par rapport à ce qui était demandé"[lxx].
D'autre part, la mobilisation ampute le personnel de trente-six personnes[lxxi].
La production militaire doit probablement débuter en novembre 1939 car le mois
d'octobre connait quatre-vingt-treize chômeurs complets[lxxii].
Ce chômage représente peut-être une certaine résistance de la part de MOREL
& GATE pour ne pas délaisser totalement la production civile[lxxiii]
; en effet, l'intendance des cuirs et peaux menaçait du chômage massif les
entreprises occupées à la fabrication des chaussures civiles. L'année 1939 se
termine par un travail hebdomadaire des ouvriers de quarante-huit heures pour la
majorité d'entre eux jusqu'à quarante heures pour les autres[lxxiv].
En outre, la production vendue est en hausse par rapport à l'année précédente.
En 1940, un tiers de l'industrie française vit des commandes de la Défense
Nationale[lxxv] ; je n'ai pas trouvé le
nombre de godillots MOREL & GATE fabriqués pour l'armée française mais le
bénéfice net dégagé de ces commandes laisse entrevoir l'importance de cette
production. En effet, ce dernier se monte à plus de la moitié du bénéfice
net total en 1940. D'autre part, l'intendance des cuirs et peaux fournissant les
matières premières à l'entreprise, on peut voir les stocks augmenter entre
les exercices 1938/39 et l'exercice de 1939/40. MOREL & GATE pense même
s'agrandir puisque l'on trouve parmi ses archives un avant-projet d'extension
daté du 14 mars 1940 visant à créer une salle de magasin des formes[lxxvi].
Le 22 juin 1940, huit jours avant la clôture de l'exercice fiscal de
l'entreprise MOREL & GATE, l'armistice est signée à Rethondes.
b) L'occupation.
Une grande part des brodequins militaires MOREL & GATE destinés à
l'armée française restent, en juin 1940, inutilisés[lxxvii].
L'occupation commence par entraîner dès l'été 1940 jusqu'à l'été 1941 un
pillage des stocks, machines, matériel... des usines par les soldats allemands
(Fougères s'était vu débloquer, le 5 juin, cinq tonnes de cuir ; les
allemands en arrivant s'emparèrent de cuirs de toutes sortes[lxxviii]).
L'Ille-et- Vilaine est particulièrement touchée[lxxix]
et MOREL & GATE, en tant que quatrième entreprise du département et première
entreprise fougeraise de par son effectif n'y a pas échappé puisque les
allemands "ont pris"[lxxx]
les brodequins militaires qui étaient en fabrication. On observe d'ailleurs une
baisse importante des stocks entre 1940 et 1941.
L'ensemble
des événements nationaux et internationaux (armistice, occupation allemande,
ligne de démarcation, non retour des prisonniers, blocus britannique)
continuent de désorganiser la production civile de la Maison MOREL & GATE.
Les entreprises fougeraises repartent dès la deuxième quinzaine de juillet
1940 sur l'ordre des autorités d'occupation, mais nous n'avons aucune
statistique concernant les effectifs de l'usine avant octobre 1940. MOREL &
GATE est donc remise en marche mais les matières premières se raréfient : en
novembre et décembre 1940, l'ensemble des ouvriers ne travaillent plus que
vingt-huit heures par semaine mais un arrêté préfectoral fixe à trente
heures par semaine le travail dans l'industrie de la chaussure[lxxxi].
La production vendue et le chiffre d'affaires de l'entreprise sont en baisse et
la pénurie de matières premières qui va en s'aggravant n'est pas de bon
augure pour l'avenir. Le 14 novembre 1940, Vichy, signant avec le Reich nazi un
accord de compensation, fait de la France un "partenaire
vassalisé"[lxxxii].
Dès lors se met en place le système de domination et d'exploitation économique
nazi préconisé par Von RIBBENTROP envers les entreprises françaises.
En
1941, les ouvriers de MOREL & GATE voient leur semaine de travail varier
entre trente-six heures (15 avril 1941) et seize heures hebdomadaire (31 mai
1941)[lxxxiii],
le travail à fournir dépendant des postes. Fougères est dans la tourmente :
la pénurie réduisant la production mensuelle des entreprises de la ville à 8%
de la production moyenne normale[lxxxiv].
Il semble qu'en 1941, l'entreprise MOREL & GATE ne travaille pas à la
fabrication des chaussures allemandes pour le front russe, en effet, les
entreprises fougeraises qui font ce travail voient leur horaire hebdomadaire de
travail porté à quarante-quatre heures entre mars et septembre 1941[lxxxv]
alors que MOREL & GATE reste à trente heures en moyenne[lxxxvi].
Néanmoins, elle fait partie des vingt entreprises de chaussures fougeraises qui
ont travaillé avec les allemands. Ces derniers appliquent en France une
politique de concentration de l'industrie pour mieux la contrôler et la rendre
plus efficace dans le cadre de l'économie de guerre[lxxxvii].
Ainsi, ils décident de concentrer l'industrie de la chaussure fougeraise en
n'alimentant en matières premières que vingt entreprises sur soixante ("à
25% de la production normale"[lxxxviii]).
Les allemands font main basse sur la production de chaussures produites à Fougères.
Ainsi, "de juillet 1940 à juin 1942, la plus grande partie de la
production fougeraise part en Allemagne"[lxxxix],
ces chaussures étant des chaussures civiles et des chaussures de troupe, la
pression économique allemande incitant l'occupant à réquisitionner beaucoup
de chaussures pour dames. En tant que première entreprise fougeraise, MOREL
& GATE occupe en 1940 cinq cent quatre vingt onze personnes. Le risque de
voir sa main-d'oeuvre partir outre-Rhin et la volonté de continuer à
travailler et à réaliser des profits (c'est le but de toute entreprise selon
la définition de l'économiste François PERROUX), l'amène, en 1941, à
enregistrer ses premières commandes allemandes que nous pouvons tenter d'évaluer
grâce au chiffre d'affaires allemand connu[xc].
Il est à noter que Marie-Hélène BUTLER (qui ne cite d'ailleurs pas la source)
déclare : "certaines entreprises (ex. MOREL-GATE-Les Chaussures FEUVRIER-Le
CARBOUILLEC- Les établissements JEHAN-CARRE - HUBERT et Compagnie, etc...) réalisant
jusqu'à 72% de leur chiffre d'affaires avec l'occupant à Berlin."[xci]
(?!). L'état actuel des recherches ne permet pas de savoir si cela fût vrai ou
non dans le cas de l'entreprise étudiée ici. On sait seulement que
l'entreprise MOREL & GATE a suffisamment majoré les prix de vente de ses
chaussures pour intéresser le préfet de police de Paris. En effet, MOREL &
GATE a réalisé entre le premier mai 1940 et le mois d'octobre 1940 des hausses
supérieures à la hausse de 12% autorisée par l'Economie Nationale[xcii].
Après une remarque du préfet d'Ille-et-Vilaine, messieurs MOREL et GATE
justifient cette hausse par le prix de vente des matières premières, les frais
de ventes, les agios, les timbres à traites, les impôts industriels et
commerciaux, les commissions des voyageurs et le prix de revient[xciii]
; suite à une démonstration mathématique, les associés concluent que malgré
la hausse des prix des chaussures, les bénéfices se sont considérablement réduits[xciv].
L'entreprise
continue donc de travailler à raison de vingt-quatre heures en moyenne par
semaine entre le premier janvier et le 15 juin 1942[xcv]. Le bénéfice net connu
stagne en 1941 et 1942 et la production est en baisse entre ces deux dates ; en
effet, les allemands tenant les rênes de l'approvisionnement peuvent exercer un
chantage sur les entreprises. MOREL & GATE voit sa production militaire
allemande augmenter en 1942 au dépend de la production civile car le chiffre
d'affaires allemand connu de 1942 représente 27% du chiffre d'affaires total
connu contre 0,5% en 1941. Notons cependant, qu'à nouveau, en 1941 et en 1942,
les ventes par les représentants exclusifs de la maison sont supérieures au
total des ventes effectuées par l'entreprise (représentants et autres)...
Dès
l'été 1942, trois cent quatorze licenciements sur Fougères sont décidés par
le Comité Général d'Organisation de l'Industrie du Cuir[xcvi]
permettant ainsi de libérer de la main-d'oeuvre pour aller travailler en
Allemagne et portant ainsi la semaine de travail des entreprises restantes à
quarante heures. Ainsi, chez MOREL & GATE, tous les ouvriers sont occupés
quarante heures par semaine entre le 15 juillet 1942 et le 30 novembre 1942[xcvii].
Ceci conformément à la politique du commissaire général du Reich pour
l'emploi de la main-d'oeuvre, Fritz SAUCKEL, qui exigea pour sa première
action, menée entre juin et décembre 1942, cinq cent mille ouvriers français
dont cent cinquante mille qualifiés pour travailler en Allemagne[xcviii].
Pour répondre à la demande de SAUCKEL, le second gouvernement LAVAL instaure,
en juin 1942, la politique de la "Relève"
; ainsi, dix-huit ouvriers de l'entreprise MOREL & GATE partent travailler
à ce titre en Allemagne[xcix].
Officiellement,
c'est du 27 septembre 1940 que date l'ordonnance antidatée nazie relative aux
mesures contre les juifs et qui stipule au paragraphe 4 : "Tout
commerce dont le propriétaire ou le détenteur est juif devra être désigné
comme "Entreprise juive" par une affiche spéciale en langues
allemande et française jusqu'au 31 octobre 1940"[c].
Le gouvernement de Vichy ajoute à cela, le 22 juin 1941, une loi sur l'aryanisation
des biens juifs entraînant la vente ou la liquidation de toute entreprise dont
les propriétaires étaient considérés comme juifs au regard du second statut
des juifs promulgué par Vichy le 2 juin 1941[ci]. C'est au cours de l'année
1942 que se pose à messieurs MOREL et GATE la nécessité de fournir aux
autorités d'occupation leurs arbres généalogiques afin de prouver qu'ils ne
sont pas juifs. C'est alors que René GATE a la délicate surprise de trouver
dans les générations antérieures de sa généalogie les noms d'Estelle
SALOMON, de Julien SALOMON et d'Anatolie LEFEVRE. Ceci met l'entreprise en péril
ainsi que la vie des deux associés et de leurs familles. En effet, Marcel MOREL
étant le beau-frère de René GATE de par son mariage avec mademoiselle GATE,
la reconnaissance d'une quelconque origine juive par les autorités d'occupation
entraînerait automatiquement la confiscation de l'usine ainsi que la déportation
des deux familles. S'engage alors un "bras de fer"
entre les occupants épaulés par Vichy et messieurs MOREL et GATE qui se voient
demander au mois d'octobre 1942 les preuves de leur origine chrétienne ainsi
que celles de leurs ancêtres[cii].
C'est ainsi que les deux associés constituent un dossier de vingt-six pièces
d'Etat-Civil et d'actes religieux reconnaissant officiellement les ascendances
chrétiennes de la famille, mettant un terme à cette polémique[ciii].
-oOo-
Le
chômage s'aggrave fortement à Fougères en 1943 en raison de la pénurie de
matières premières. MOREL & GATE est elle aussi touchée avec un chômage
complet de soixante-quinze de ses ouvriers au 30 avril 1943[civ].
Mais elle continue de travailler en moyenne quarante heures par semaine allant même
jusqu'à effectuer cinquante-quatre heures hebdomadaire au 28 février 1943
suite à l'ordre de l'occupant aux usines protégées "S" ou "V"
d'effectuer cinquante-quatre heures de travail hebdomadaire sans obtenir pour
autant plus d'électricité nécessaire[cv]
; c'est donc qu'elle est approvisionnée. C'est de fait cette année là que
l'entreprise va réaliser sa plus importante production allemande car l'usine
MOREL & GATE est classée depuis le 10 avril 1943 : "S" "RUSTUNGSBETRIEBE"
et usine prioritaire par le ministère de la production industrielle en date du
6 juillet 1943[cvi] ; cela voulant dire que
l'usine produisait pour l'armement allemand bénéficiant ainsi de l'avantage de
ne pas voir partir sa main-d'oeuvre en Allemagne[cvii].
L'entreprise s'est à l'époque, nous l'avons vu, perfectionnée au niveau de sa
productivité : elle travaille depuis 1942 avec le système de chronométrage
BEDAUX[cviii]. En 1943, le chiffre
d'affaires allemand connu se monte à 35% du chiffre d'affaires hors taxes (C.A.H.T.)
total connu et le bénéfice net retiré est multiplié par 2,08 par rapport à
l'année précédente. Il s'agit donc d'une bonne année pour la société qui
n'a, de plus, aucune raison de s'endetter et qui n'a à l'époque aucun
investissement important à réaliser puisque ces derniers n'ont cessé de
baisser de 1941 à 1944 sous l'occupation.
En
1944, l'entreprise voit ses stocks, qui ne cessaient de diminuer depuis 1941,
commencer à augmenter. Nous pouvons nous demander si ces stocks proviennent
d'un approvisionnement allemand ou allié. Les statistiques de chômage, perturbées
cette année là, nous apprennent néanmoins que l'ensemble du personnel de
l'usine travaille quarante heures au 15 janvier 1944 et au 15 mars 1944 ce qui
laisserait peut-être penser à une intensification des commandes allemandes.
Ceci est très probable car entre janvier et juin 1944, l'entreprise réalise un
chiffre d'affaires allemand connu presque identique au chiffre d'affaires
allemand connu réalisé pendant les douze mois de l'année précédente. MOREL
& GATE aurait donc vu ses commandes allemandes s'accroître en 1944 et ses
effectifs ouvriers stagner autour de quatre cent soixante neuf/quatre cent
soixante deux personnes alors que "la
grande majorité des entreprises maintiennent péniblement ou voient régresser
ses ouvriers (...)"[cix].
De plus, l'on sait que l'entreprise obtient facilement du cuir à dessous mais
qu'il ne peut l'utiliser puisque les allemands veulent des semelles de
caoutchouc plus difficiles à obtenir[cx].
Dans
la correspondance, le ton des deux associés se fait plus ferme envers les
allemands[cxi].
Mais
les bombardements des 6 et 9 juin obligent l'usine à fermer ses portes, en
effet, une bombe de 250 kg tombe en plein centre de l'atelier du bas mais, par
miracle, n'explose pas, faisant seulement un trou dans la toiture. De surcroît,
deux autres bombes tombent et explosent au ras de l'usine, rue du général
CHANZY, soulevant le toit du bâtiment contenant le moteur et les deux bassins
de son circuit de refroidissement. Toit qui retomba d'ailleurs à la même place
ne laissant pour toute trace que le moteur totalement mouillé et le volant de
fonte entaillé par la bombe. Enfin, deux dernières bombes tombèrent et explosèrent
ce jour dans le jardin de l'usine faisant plus de peur que de mal[cxii].
Néanmoins, le sinistre se monte à 360.895,65 francs (francs courants) et les dépenses
de remise en état effectuées au cours de l'année 1946 se chiffrent à
1.950.233,60 francs (francs courants), "ce
solde devant (...) être intégralement remboursé par l'Etat"[cxiii].
c) La Libération.
Les alliés libèrent Fougères le 3 août 1944. MOREL & GATE reste
certainement quelques mois sans fonctionner ; en effet, Fougères est privée d'électricité
et de carburant suite aux bombardements. De plus, l'agence locale de l'U.S.M.C.F.,
rue de Verdun, a été détruite et ne sera reconstruite qu'en 1950, l'United
Shoe travaillant "avec des moyens tout à fait précaires et dans des conditions
particulièrement pénibles"[cxiv]
pendant six ans!
L'inspecteur
divisionnaire du travail déclare d'ailleurs dans un de ses rapports qu'"il n'a pas été fabriqué
une paire de chaussures depuis le mois de juin (...)"[cxv].
Autour
du mois de septembre, monsieur MOREL, en désaccord avec un de ses ouvriers,
monsieur CHEVAUCHERIE, décide de rouvrir l'usine et de faire rentrer les
ouvriers par roulement[cxvi]. On ne sait pas si le
redémarrage se déroula ainsi car les registres de congés indiquent une
absence totale de personnel du 9 juin au 4 décembre 1944. On peut supposer, en
tout cas, qu'il fût difficile puisque très peu d'usines fonctionnaient en
novembre 1944[cxvii],
les entreprises travaillant soit à la main ou grâce à un gazogène. Les
ouvriers de MOREL & GATE semblent avoir bénéficié des indemnités aux
usines sinistrées prévues par la loi du 20 mai 1944 à la différence des
ouvriers des autres entreprises sinistrées n'ayant pas travaillées pour les
allemands puisque la loi "exigeait la non rupture du contrat de travail et une reprise
d'activité relativement proche",
ce qui était impossible pour la plupart des quarante entreprises n'ayant pu
travailler pendant la guerre faute de commande[cxviii].
L'occupation
et la très lente reprise entraîne à Fougères une concentration des usines de
chaussures, les allemands n'accordant leurs commandes qu'aux vingt plus
importantes entreprises de chaussures de Fougères sur la soixantaine que
comptait la ville à l'époque. Mais cette concentration est un peu à
retardement (elle se fera surtout dans les années cinquante) puisqu'en 1948,
Fougères compte soixante-six fabriques de chaussures ainsi que trente-huit
industries annexes[cxix]
! C'est la reconstruction !
Dans
les années cinquante, Fougères verra la fermeture d'au moins trente-sept
usines fougeraises (chaussures et annexes), et la décennie suivante la
fermeture d'au moins vingt-quatre fabriques[cxx].
En fait, la guerre n'a fait qu'accélérer la préparation du mouvement de
concentration.
La
reprise semble commencer dès le printemps 1945 malgré les difficultés
d'approvisionnement en cuir à dessus à Fougères[cxxi].
D'autre part, MOREL & GATE fait des investissements énormes en 1945 : pour
plus de cinq millions et demi de francs ! (francs constants 1938), c'est-à-dire
un peu plus que la somme de l'ensemble des bénéfices net dégagés pendant la
période de 1941 à 1944 (5,13 millions de francs 1938). Pourtant, le matériel
neuf de l'exercice n'est pas important puisque l'ensemble des achats se monte à
12.341,42 francs (francs constant 1938), c'est-à-dire moins que l'année précédente.
On peut peut-être rapprocher ce phénomène de la déclaration du ministre des
Finances René PLEVEN qui déclare le 29 mars 1945 : "Je
me réserve, le moment venu, de changer le type des billets en circulation, pour
une série de motifs infiniment sérieux". Le 13 avril 1945, une ordonnance stipule que tous les établissements
financiers doivent déposer à la Banque de France les bons du trésor dont le
montant dépasse cinq cent mille francs ; le 2 juin, René PLEVEN annonce à la
radio la date des échanges : le 4 juin. Les billets n'ont donc plus cours. Le "vaste échange" fait ainsi connaître à l'Etat la
fortune de chacun des français, "chose
forte utile pour les impôts" ajoute un journaliste de l'époque...[cxxii]
Le
chiffre d'affaires de l'année 1945 ne s'améliore pas par rapport à l'année
précédente : il est en baisse constante depuis 1943. D'autre part, le bénéfice
net diminue d'un tiers par rapport à 1944 et l'entreprise s'endette de plus en
plus alors qu'elle n'investit pas en 1946 : il est en effet plus intéressant
pour elle de s'endetter que de financer sa croissance vu l'état du franc qui ne
cesse alors de se déprécier. Les stocks de chaussures invendues augmentent
constamment entre 1944 et 1946 d'où la baisse de production inévitable qui en
découle et qui atteint son point critique en 1945. Le 7 novembre 1945, l'un des
associés avoue d'ailleurs "n'avoir
jamais été dans une situation aussi précaire" n'ayant devant eux
que "deux
semaines de peausserie" en stock[cxxiii].
De nouveaux marchés seraient les
bienvenus.
3) 1946-1960 : MOREL & GATE
contre vents et marées.
Dès le mois de novembre 1945, MOREL & GATE signe des contrats avec
l'intendance militaire alliée et demande aux fournisseurs de leur faciliter la
tâche en augmentant les quantités fournies pour arriver à environ cinquante
mille pieds par mois. Il faut dire en effet que MOREL & GATE s'est habituée
à fabriquer des quantités importantes de chaussures "passant
en un jour autant que les réclamants passent sans doute en une semaine". Il semble que les rapports entre MOREL & GATE et les autres
usines de Fougères se dégradent un peu ; suffisamment en tout cas pour qu'un
responsable des TANNERIES DE FRANCE déclare : "Les fabricants de Fougères
disent qu'ils étaient beaucoup mieux servis quand les TANNERIES DE FRANCE étaient
... fâchées avec MOREL & GATE". L'entreprise conseille donc la discrétion à son fournisseur[cxxiv].
Les commandes recommencent donc à arriver, permettant l'amélioration de
l'activité de l'entreprise et donc du chiffre d'affaires. D'autre part,
l'usine, qui avait réussi à se procurer une licence de camion fin 1945[cxxv],
parvient à acheter une camionnette CITROEN en 1946[cxxvi],
lui permettant de se déplacer chez ses clients et ses fournisseurs dans un pays
détruit en pleine reconstruction. Malgré la hausse du prix des matières premières
(125%) et de la main-d'oeuvre (53,5%) entraînant une hausse de 95% du prix des
articles fougerais entre 1947 et 1948[cxxvii],
l'année 1947 est une bonne année pour l'entreprise qui voit son chiffre
d'affaires continuer à croître doucement et son stock de chaussures décroître.
En outre, MOREL & GATE améliore ses ventes et voit la productivité par
personne s'accroître. L'embellie semble revenue et le bénéfice net augmente.
L'entreprise sait tirer profit de la valeur du franc, qui se déprécie de plus en plus avec l'inflation, en
s'endettant (particulièrement en 1946).
Mais
l'année 1948 est marquée par l'apogée inflationniste (de 1939 à 1948, le
taux d'accroissement atteint 33%[cxxviii],
il est bientôt tempéré par le plan MAYER, ministre des finances du
gouvernement SCHUMAN formé en novembre 1947), de fait le chiffre d'affaires de
l'entreprise décolle cette année là (1948).
Messieurs
MOREL et GATE décident alors de scinder en deux leur société en créant entre
eux une nouvelle Société de Fait MOREL & GATE ayant pour but la location
des marques, du matériel et des immeubles à la société d'exploitation MOREL
& GATE[cxxix].
Cette méthode, dont les groupes de sociétés font grand usage "dans
leur stratégie de conquête" permet, dans le cadre de la gestion
fiscale, de faire remonter les déficits automatiquement à la société mère.
De plus, elle permet à messieurs MOREL et GATE de préparer l'entrée de leurs
enfants dans le capital de la société d'exploitation, prélude à une future
transmission des pouvoirs[cxxx].
A
l'époque, en effet, Marcel MOREL fils et Pierre MOREL, au service de l'usine
depuis le premier octobre 1937, sont officiellement tous deux directeurs
commerciaux[cxxxi].
La création d'une nouvelle société permettait aussi aux deux associés des
rentrées de numéraire supplémentaire. Quant à la société d'exploitation,
elle redevient, le premier janvier 1948 une S.A.R.L.[cxxxii],
toujours pour permettre aux deux associés de s'adjoindre leurs enfants. Ainsi,
René GATE est bientôt secondé par son fils Michel dans l'entreprise[cxxxiii].
Il y a aussi l'intérêt de généraliser à tous les niveaux de l'organisation
de la société l'irresponsabilité et l'anonymat[cxxxiv].
Mais
une crise frappe l'industrie fougeraise en 1949, crise de débouchés d'abord
puisque la fabrication chute de 282.694 paires en 1948 à 201.284 paires en 1949
; la vente baisse dans les mêmes proportions puisque l'entreprise enregistre
74.016 paires de chaussures vendues en moins
que l'année précédente ! De même, les ouvriers connaissent en mai et
en juin 1949 du chômage complet[cxxxv].
La situation est tellement alarmante que le maire de Fougères (lui aussi
fabricant de chaussures), Hyppolite REHAULT écrit le 25 mars 1949 à
l'inspecteur général préfet d'Ille-et-Vilaine pour lui demander de faire le nécessaire
afin de porter à 700 heures environ la quantité d'heures de chômage partiel
indemnisé par l'Etat contre 320 heures maximum en temps normal[cxxxvi].
On apprend de fait qu'une circulaire en date du 6 avril 1949 accorde le chômage
partiel "pendant trois quatorzaines pour le premier semestre 1949"
et que "cette période
d'indemnisation sera susceptible d'être prolongée d'une quatorzaine supplémentaire
si le chômage persiste", ainsi, "le
nombre d'heures perdues indemnisables
se trouve donc (...) porté à 320 heures au maximum pour un semestre
(...)"[cxxxvii].
Ajoutons
à cela un autre problème pour MOREL & GATE qui voit depuis 1948 augmenter
les retours en usine (5983 paires en 1948 et 6502 paires en 1949). L'entreprise
ne se porte pas bien, le résultat net de la société d'exploitation affiche en
1949 une perte de 616.939,90 francs (francs constants de 1938) officiellement dû
aux "retours
massifs de la clientèle dus à une mévente générale et à une crise économique
sans précédent dans l'industrie de la chaussure ; prix de revient établis de
façon ferme à la clientèle en partant de prix de base de matières premières
exacts le jour de l'établissement des prix mais qui ont été en hausse
constante en fin d'année ; frais de fabrication et frais généraux trop onéreux
du fait du chômage intensif de l'exercice"[cxxxviii]
; raisons qui diffèrent légèrement sur le brouillon des notes relevées au
cours de la délibération du 19 avril 1950 qui déclare : "retours massifs de la
clientèle dus à un mauvais chaussant d'articles de très grande vogue et à la
mauvaise tenue de certaines peausseries à la fin de la fabrication (...)"[cxxxix].
C'est donc la matière des fournisseurs ainsi que la fabrication même de la
chaussure de l'usine qui est en cause, le chaussant étant l'"ensemble
des propriétés d'une forme ou d'une chaussure lui permettant de loger
confortablement le pied, et de le maintenir rationnellement dans la
marche."[cxl].
L'entreprise
comprend donc la nécessité qu'elle a d'investir et poursuit son effort commencé
depuis 1947 pour renouveler son matériel obsolète, usé par les expériences
de la guerre et de l'après guerre. De son côté, le bureau de création de
MOREL & GATE poursuit également ses recherches concernant de nouveaux modèles
et de nouveaux procédés. C'est pourquoi, le 16 février 1950, une demande de
brevet d'invention est dressée pour un procédé de fabrication de chaussures ;
brevet qui leur sera délivré le 23 avril 1952[cxli].
Au
début des années cinquante l'économie française est "freinée
dans son évolution" par des "rigidités de structure"[cxlii],
l'économie française cessant "d'être
animée par une économie de profits pour tendre à se reposer sur une économie
de rentes" dû au protectionnisme institué par l'Etat et aux
mesures "d'entraves
et inégalité dans la concurrence intérieure"[cxliii].
Le phénomène inflationniste se fait de plus en plus sentir, particulièrement
en 1950/1951 et 1957/1958. Fougères connaît dans les premières années de la
décennie 1950 une crise qui va restructurer l'industrie de la ville (nous
l'avons vu plus haut). L'entreprise réorganise donc son capital en 1952 intégrant
ainsi pleinement les enfants des deux associés[cxliv]. Elle décide de surcroît
de régulariser la situation de la société de gérance en la constituant en
S.N.C. en 1953[cxlv].
L'heure est à la rigueur et les pertes des exercices financiers de 1949, 1951
et 1952 amènent les deux associés à réorganiser les déficits annuels en en
reportant une partie d'une année sur l'autre. De plus, "aucune distribution à
quelque titre que ce soit" n'est envisagée et n'a lieu entre 1952
et 1958 afin d'"éponger"[cxlvi]
les déficits des années antérieures. La production de l'entreprise ainsi que
ses ventes sont en baisse constante entre 1950 et 1953 et le chômage complet
d'une partie du personnel fait son apparition dès décembre 1951, relayé à
partir du 31 octobre 1952 par l'absentéisme[cxlvii].
Un faux répit arrive vers 1954 puisque la production de l'entreprise repart ;
toutefois, le chiffre d'affaires stagne jusqu'en 1956 où le second coup de la
flambée inflationniste fait à nouveau baisser la production et le chiffre
d'affaires. Mais les résultats de l'entreprise, même s'ils ne sont à l'époque
pas excellents, ne cessent de s'améliorer d'année en année jusqu'en 1960 et
MOREL & GATE ne connait plus de pertes. Le moral est au beau fixe, les
associés déclarant à la réunion du conseil d'administration de l'entreprise
le 11 avril 1958 : "L'exercice 1957 a été marqué par une vive reprise de l'activité
de la société et les résultats obtenus sont encourageants (...)"[cxlviii],
ce qui permet d'équilibrer le compte des Pertes et Profits et de préparer
l'installation de la machine BULL, contribuant ainsi à développer le "mythe
de l'investissement"[cxlix].
De plus, "l'exercice 1958 a confirmé
la reprise d'activité de l'entreprise amorcée en 1957"[cl]
et le "Compte d'exploitation [de l'exercice 1959] s'est soldé par un bénéfice
(...) dû en partie aux hausses intervenues en cours d'année sur toutes les
matières premières (...)"[cli].
L'entreprise s'était en effet constituée un stock de marchandises de plus en
plus important de 1957 à 1959.
Mais
les années à venir vont s'avérer difficiles pour l'entreprise...
[i]
cf. tableau ci-contre : effectifs de l'entreprise de 1925 à 1976. Tableau réalisé
grâce à diverses informations trouvées dans les archives de l'entreprise
: livres de paye, registres de congés payées, statistiques diverses, et grâce
à l'entretien du 24/2/1995 avec monsieur MOREL (P.), sous-directeur de
l'entreprise MOREL & GATE chargé de la fabrication et des relations
avec le personnel.
[ii]
"PERROUX (F.) : Economiste français (Lyon 1903). Fondateur de
l'Institut de science économique appliquée (1944), professeur au Collège
de France (1955), il est directeur, depuis 1960, de l'Institut d'études et
de développement économique et social. Tout en critiquant les types d'économie
totalement planifiée et en maintenant sa confiance dans le caractère
dynamique du système capitaliste, il a proposé, entre le socialisme et le
capitalisme libéral traditionnel, une tierce solution. Admettant à côté
du secteur capitaliste (privé) un secteur étatisé et reconnaissant la nécessité
de certaines interventions des pouvoirs publics en matière économique et
social, il a vu dans la communauté de travail (entreprise considérée
comme un tout organisé) le moyen d'abolir l'opposition entre salariés et
entrepreneurs et de promouvoir la personne humaine (...)."(ROBERT (P.),
Dictionnaire universel des noms propres, Paris, Le ROBERT, 1984,
p.1397).
[iii]
BREMOND (J.), GELEDAN (A.), Dictionnaire économique et social,
Paris, Hatier, 1988, p.155.
[iv]
L'intensité du travail fourni, les conditions d'exercice de ce travail sont
exemptes de ces sources, de surcroît, toutes les contraintes extérieures
qui pèsent sur l'entreprise : concurrence, conjoncture économique, ne sont
pas non plus prises en considération.
[v]
Tous les chiffres avancés ci-après ainsi que les graphiques, sont issus
des exercices de l'entreprise entre 1925 et 1976 ; je me permet, pour plus
de clarté, de ne pas répéter inlassablement la source : A.M.F. - 1GI à
1GV, fonds MOREL & GATE : Comptabilité générale, Bilans, comptes de
profits et pertes, exercices annuels. Il faut noter que ces chiffres ont été,
après leur relèvement, transformés en francs constant de 1938.
[vi]
COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, Paris, éd. LITEC,
1992, p.295.
[vii]
COZIAN (M.), "op. cit.", Précis de...
[viii]
CARON (F.), Histoire économique de la France XIX-XXè siècles,
Paris, Armand Colin, collection U, p.158.
[ix]
F. WALTER cité dans CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique...,
p.158.
[x]
BOUFFORT (D.), "La grande grève de la chaussure : Fougères 1932",
première partie, LE PAYS DE
FOUGERES, n°42, 1983, p.14/18.
- "Réflexions sur la crise de la chaussure",
REVEIL FOUGERAIS, 5/3/1932 : citant le Nouvelliste de Bretagne : (...) cette
période de 1916 à 1920 fut prospère à Fougères, le nombre de fabriques
de chaussures doublait, sinon plus. (...)".
[xi]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p.196/197.
[xii]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p.196/197.
[xiii]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p.199.
[xiv]
Le marché marocain est aussi envahi par les produits allemands, tchécoslovaques,
anglais et espagnols, ces deux derniers pays étant favorisés en 1932 par
la dépréciation de leur monnaie ; "(...) Dans les chaussures
notamment, la maison "BATA" a ouvert 28 succursales et d'un coup
razzié le tiers de la clientèle. Laisserons-nous au Maroc, les maisons étrangères
éliminer les maisons françaises ?". Au même moment, monsieur BATA
fait un procès contre l'écrivain Ilva EHRENBOURG qui l'accuse de vendre
ses chaussures dans divers pays sous des noms d'emprunts pour éviter ainsi
les difficultés douanières ("Dans la Chaussure", REVEIL
FOUGERAIS, 6/2/1932, citant le journal Commentaires).
[xv]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
première partie.
[xvi]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
première partie, citant P. LUCIUS, Une grande industrie française dans
la tourmente, Paris, 1935 : graphique des faillites et liquidations
judiciaires dans les industries du cuir.
[xvii]
"La protection des chaussures françaises", REVEIL
FOUGERAIS, 6/2/1932.
[xviii]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
première partie.
[xix]
A.M.F. - 1AI, fonds MOREL & GATE : Actes de société, n°2, 29/12/1928.
[xx]
A.M.F. - 1AI, fonds M & G : "op. cit.", acte n°2, 29/12/1928.
[xxi]
COZIAN (M.), "op. cit.", Précis de..., 772 p.
[xxii]
A.M.F. - M, fonds MOREL & GATE : Correspondance, lettre de R. GATE à R.
de la MOTTE, 27/11/1933.
[xxiii]
Tous les chiffres des ventes, fabrication, et retours, proviennent de :
A.M.F. - 1GI à 1GV, fonds MOREL & GATE : Comptabilité générale,
Bilans, comptes de profits et pertes, exercices de 1930 à 1976.
[xxiv]
A.M.F. - 1AI, fonds M & G : "op. cit.", acte du 29/12/1928.
[xxv]
"La situation à Fougères", LE REVEIL FOUGERAIS, 6/2/1932,
citant le journal LE CUIR.
[xxvi]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
citant LE REVEIL FOUGERAIS.
[xxvii]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
citant LE REVEIL FOUGERAIS.
[xxviii]
"Violents accidents à Limoges", LE REVEIL FOUGERAIS,
6/2/1932.
[xxix]
"Mise au point", LE REVEIL FOUGERAIS, 13/2/1932. Dans un
autre article du même journal de la même date : "Dans la chaussure",
le journaliste ajoute qu'il n'y a "que vingt heures de travail par
semaine".
[xxx]
"Dans la chaussure", LE REVEIL FOUGERAIS, 13/2/1932.
[xxxi]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
première partie : "(...) Le syndicaliste FOURNIER est le troisième
adjoint dans une mairie où siège l'industriel CORDIER, porte parole de la
minorité !".
[xxxii]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
première partie.
[xxxiii]
A.M.F. - 2L, fonds MOREL & GATE : Livre de paye, 1932.
[xxxiv]
Entretien du 14/10/1994 avec monsieur MACE (A.), ancien ouvrier coupeur à
l'usine MOREL & GATE.
[xxxv]
Entretien du 11/10/1994 avec monsieur MOREL (P.), sous-directeur de
l'entreprise MOREL & GATE chargé de la fabrication et des relations
avec le personnel.
[xxxvi]
A.M.F. - 5F6/2, Conflits dans la Chaussure : lettre de René GATE au maire
de Fougères, 11/2/1932.
[xxxvii]
BOUFFORT (D.), "La grande grève de la chaussure : Fougères 1932",
deuxième partie, LE PAYS DE FOUGERES, n°43, 1983, p.2 à 7.
[xxxviii]
A.M.F. - 2L, fonds M & G : "op. cit.", Livre de paye, 1932.
[xxxix]
MOREL (P.), "op. cit.", 11/10/1994.
[xl]
MOREL (P.), "op. cit.", 11/10/1994.
[xli]
A.M.F. - 3JI, fonds MOREL & GATE : Publicité, chemise 1941.
[xlii]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p.200.
[xliii]
MOREGA : MORE(L)GA(TE)
[xliv]
MOREL (P.), "op. cit.", 11/10/1994.
Cf tableau de l'évolution du prix de la paire de
chaussure MOREL & GATE de 1931 à 1933.
[xlv]
MOREL (P.), "op. cit.", 11/10/1994.
[xlvi]
A.M.F. - 5F6/2, "op. cit".
[xlvii]
Délégation patronale composée de messieurs BERTIN,
BRAULT, CHEVREL, CORDIER, COSTARD, ESNAULT, LORRE, MEREL et MOREL.
Délégation
ouvrière composée de messieurs CHENNEDE,
FOURNIER, GOURDIN, HILLION, NORMAND. (BOUFFORT (D.), "op.
cit.", "La grande grève...", deuxième partie, p.7).
[xlviii]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
deuxième partie, p.4 : "(...) Le projet d'accord général (...)
confirme la fixation de vie chère à 10%, le maintien du salaire de base
sauf certains salaires aux pièces baissés de 10%, quelques augmentations,
le maintien de la clause de contrôle syndical sur l'embaûche et la débauche,
[une] nouvelle réglementation des licenciements (...)".
[xlix]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p.201.
[l]
A.M.F. - 1AI, fonds MOREL & GATE : lettre de Marcel MOREL à monsieur le
contrôleur des contributions directes, 7/5/1934.
[li]
Dictionnaire Fiduciaire Fiscal 1991, Paris, La Villeguérin éditions,
1991, p.442, 443, 483.
[lii]
COZIAN (M.), "op. cit.", Précis de fiscalité..., p.295.
[liii]
Lettre de monsieur R, 3/5/1995.
[liv]
A.M.F. - 1AI, fonds MOREL & GATE : "op. cit.", acte du
3/5/1934.
[lv]
BOUFFORT (D.), "La grande grève de la chaussure : Fougères 1932",
troisième partie, LE PAYS DE FOUGERES, n°44, 1983.
[lvi]
A.M.F. - 3J, fonds MOREL & GATE : "op. cit.", lettre de René
GATE à M. LABAN, 24/11/1973.
[lvii]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
troisième partie, p. 12.
[lviii]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "La grande grève...",
troisième partie, p.12.
[lix]
MONNIER (Marcel), La vie politique à Fougères d'après la presse
locale, 1933-1939, Rennes, 1969, Maîtrise d'histoire sous la direction
de Michel DENIS, p.44/45.
[lx]
BOUFFORT (D.), "Un petit 36 dans la chaussure", MEMOIRES
D'ILLE-ET-VILAINE, n°3, 6/1986, p.9/13.
[lxi]
JOURNAL OFFICIEL, 26/6/1936, Décret du 20/6/1936.
[lxii]
JOURNAL OFFICIEL, 26/6/1936, Décret du 21/6/1936.
[lxiii]
JOURNAL OFFICIEL, 26/6/1936, Décret du 24/6/1936.
[lxiv]
Article 2 : "Aucune diminution dans le niveau de vie des travailleurs
ne peut résulter de l'application de la présente loi qui ne peut-être une
cause déterminante de la réduction de la rémunération ouvrière
(salaires et avantages accessoires)". (JOURNAL OFFICIEL, 26/6/1936, Décret
du 21/6/1936).
[lxv]
BOUFFORT (D.), "op. cit.", "Un petit 36...".
[lxvi]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : Chômage dans la chaussure, statistiques
mensuelles, bimensuelles et hebdomadaires des usines fougeraises de 1936 à
1970, commissaire de police de Fougères au maire de Fougères, cas de MOREL
& GATE. (Dix boites).
[lxvii]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p.203.
[lxviii]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[lxix]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[lxx]
Entretien du 24/2/1995 avec monsieur MOREL (P.), sous-directeur de
l'entreprise MOREL & GATE chargé de la fabrication et des relations
avec le personnel.
[lxxi]
A.M.F. - 1G, fonds MOREL & GATE : Comptabilité générale, exercice
1940.
A.M.F. - 2L, fonds MOREL & GATE : Livre de paye
1939/1940.
[lxxii]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[lxxiii]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), La vie des entreprises sous
l'occupation, une enquête à l'échelle locale, Paris, BELIN, 1994,
p.162 : Marie-Hélène BUTLER citant un télégramme de la chambre syndicale
au ministre du commerce daté du 29/1/1940.
[lxxiv]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[lxxv]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), La vie..., p.372.
[lxxvi]
A.M.F. - 3D, fonds MOREL & GATE : Bâtiments industriels, plans.
[lxxvii]
Différence entre la production totale fabriquée en 1940 et la production
totale vendue en 1940 (exercice se terminant en juin), 192.768 paires
fabriquées - 156.470 paires vendues = 36.298 paires.
[lxxviii]
MICHEL (Josette), "L'adaptation de l'industrie fougeraise de la
chaussure à la guerre et à l'occupation, 1939-1942", ANNALES DE
BRETAGNE, tome 52, 1945, p.97/101. (article écrit en 1942).
[lxxix]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.33.
[lxxx]
MOREL (P.), "op. cit", 24/2/1995.
[lxxxi]
MICHEL (Josette), "op. cit.", p.97.
[lxxxii]
Expression empruntée à messieurs ROUSSO (H.) et LE MANER (Y.) (BELTRAN
(A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.12/13).
[lxxxiii]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[lxxxiv]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.163.
[lxxxv]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.163.
[lxxxvi]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[lxxxvii]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.53/54.
[lxxxviii]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.163.
[lxxxix]
MICHEL (Josette), "op. cit.", p.97/101.
[xc]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.22 : "(...) la part de chiffre d'affaires connu réalisé grâce à
des commandes allemandes (...) [est souvent sous-évalué]".
[xci]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.163.
[xcii]
A.M.F. - N, fonds MOREL & GATE : Contentieux, lettre du préfet de
police à monsieur le préfet d'Ille-et-Vilaine, Paris, le 8/10/1940.
(Attention, cette cote n'est pas sûre car cette liasse faisait partie des
quelques documents restant que je n'avais pas encore classé ;
personnellement, je l'aurai mis là, mais...).
[xciii]
Dossier rattaché au précédent, même remarque.
[xciv]
Dossier rattaché au précédent, même remarque.
[xcv]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[xcvi]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p. 163/164.
[xcvii]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[xcviii]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.27.
[xcix]
A.M.F. - 1G, fonds MOREL & GATE : Comptabilité générale, exercice
1943.
[c]
Recueil méthodique des ordonnances et autres textes réglementaires des
autorités d'occupation, tome 1, Paris, éd. du tableau fiscal et
juridique, S.D., p.56.
[ci]
JOURNAL OFFICIEL, 14/6/1941, p.2475/2476.
[cii]
A.M.F. - M, fonds MOREL & GATE : Correspondance, lettre de MOREL &
GATE au curé de Le Merlevault (Orne), 30/10/1942 : "(...) Nous voulons
croire que les autorités occupantes admettrons qu'on puisse être excellent
chrétien avec un nom à consonnance juive (...)".
[ciii]
A.M.F. - M, fonds M & G : "op. cit.", lettre du 30/10/1942 de
MOREL & GATE au curé de Le Merlevault.
[civ]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[cv] Il est à noter que lorsque l'entreprise MOREL & GATE
demande pour novembre 1943, 1000 kwh supplémentaires, le Rüstungskommando
le Mans des Reichsministers Für Rüstung U. Kriegsproduktion les lui
accorde (A.M.F. - 1H, fonds MOREL & GATE : Approvisionnements, lettre du
Rustungskommando à MOREL & GATE, 1/11/1943).
[cvi]
A.M.F. - 1H, fonds M & G : "op. cit.", lettre
de MOREL & GATE aux établissements C. BRONGNIART à Paris, 30/9/1943, autre
lettre de MOREL & GATE aux établissements CONDEMINE à
Laneuve-sur-Yonne, 3/4/1944, autre lettre recommandée de MOREL & GATE au ministère de la
Production industrielle et des communications-Direction des textiles et des
cuirs, à Nantes, 20/9/1943.
[cvii]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.377.
[cviii]
A ce sujet, messieurs LE MANER et ROUSSO nous font remarquer :
"Distincte de l'administration directe proprement dite, l'intervention
dans le processus de production constitua une autre forme de contrôle.
(...) Très souvent, il s'agissait d'augmenter les horaires de travail pour
compenser les pertes de productivité, tâche dévolue à des ingénieurs
des grandes firmes allemandes. Cette pratique (...) existait dans
l'industrie de la chaussure à Fougères (...)", BELTRAN (A.), FRANK
(R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie..., p.19/20. Une
question se pose alors : qui a poussé l'entreprise MOREL & GATE à
installer le système BEDAUX : aurait-il un lien quelconque avec l'occupant
?
[cix]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.165.
[cx]
A.M.F. - 1H, fonds M & G : "op. cit.", lettre de MOREL &
GATE à monsieur KESZLER, 14/1/1944.
[cxi]
A.M.F. - 1H, fonds M & G : "op. cit.", lettre de MOREL &
GATE à monsieur KESZLER (service production), Comité de la chaussure à
Paris, 14/1/1944 : "(...) C'est inquiétant. Il est certain que le
comité est bien obligé de composer ses programmes avec ce qu'il a comme
matières premières et que vous ne pouvez prévoir la mévente d'un article
même de second choix à une époque où dans tous les domaines, il vaut
mieux se contenter de ce qu'on trouve plutôt que de ne rien avoir. Et bien
non. C'est NET. On n'en veut pas.(...)".
A propos des comités d'organisation, ces derniers
avaient été créés par Jean BICHELONNE, le 16/8/1940, à Vichy, pour gérer
l'Economie Nationale. Rappelons que BICHELONNE avait déclaré : "Il
est plus grave pour un pays de perdre toute force que de se tromper de
camp". (Caron (F.), "op. cit.", Histoire économique...,
p.205).
[cxii]
MOREL (P.), "op. cit.", 11/10/1994.
[cxiii]
A.M.F. - 1GII, fonds MOREL & GATE : Comptabilité générale, exercice
1946.
[cxiv]
"La chaussure en 1955", document statistique S.N. et S.D.
[cxv]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.166.
[cxvi]
Entretien du 14/10/1994 avec monsieur Y.
[cxvii]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.166 : M.H. BUTLER citant l'inspecteur divisionnaire du travail.
[cxviii]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.166.
[cxix]
Annexes : Galoches, sabots, talons, contreforts, pantoufles, découpages et
bouts durs, formes, semelles bois, maroquinerie, boites en carton.
AUBREE (E.), L'industrie de la chaussure à Fougères,
son origine et son évolution, Fougères, éd. Le Cénacle, 1948.
[cxx]
C.S.F.C.F., liste des fermetures d'usine pendant les années cinquante et
soixante.
[cxxi]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.167.
[cxxii]...du
quotidien LE JOURNAL DE L'OUEST.
Les années 40 du pain noir... à la renaissance,
fascicule 2, LE JOURNAL DE L'OUEST, Rennes, éd. Ouest Plus, 1991, p.26.
[cxxiii]
A.M.F. - 1H, fonds M & G : "op. cit.", lettre de MOREL &
GATE aux Tanneries de France à Rennes, 7/11/1945.
[cxxiv]
A.M.F. - 1H, fonds M & G : "op. cit.", lettre de MOREL &
GATE aux Tanneries de France à Rennes, 7/11/1945.
[cxxv]
A.M.F. - 1H, fonds M & G : "op. cit.", lettre de MOREL &
GATE aux Tanneries de France à Rennes, 7/11/1945.
[cxxvi]
A.M.F. - 1G, fonds M & G : Comptabilité générale, exercice 1946.
[cxxvii]
BELTRAN (A.), FRANK (R.), ROUSSO (H.), "op. cit.", La vie...,
p.167.
[cxxviii]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p.210.
[cxxix]
A.M.F. - 1AII, fonds M & G : "op. cit.", acte de maître Marc
ROULIN, notaire à Fougères, 1948.
Dès lors, nous utilisons la somme des
immobilisations à l'actif des bilans des deux sociétés afin de pouvoir
poursuivre comme auparavant la comparaison de l'investissement total ; ceci
est faux au niveau comptable puisqu'il y a deux sociétés distinctes, mais
c'est exact aux niveaux historique et financier. Une seule exception : l'année
1969 : immobilisations hors S.N.C.
[cxxx]
COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, Paris, LITEC,
1992, p.625/627.
A.M.F. - 1AII, fonds M & G : "op.
cit.", lettre de René GATE à monsieur ALMIRE, 4/11/1947.
A.M.F. - 1AII, fonds M & G : "op.
cit.", lettre de MOREL & GATE à monsieur ALMIRE, 27/10/1950.
[cxxxi]
Paul MOREL, le troisième fils, est entré au service de l'usine le
1/2/1942. (A.M.F. - 2L, fonds M & G : Registres des congés payés).
[cxxxii]
A.M.F. - 1AII, fonds M & G : "op. cit.", acte fait à Fougères
le 14/1/1948, dépôt reçu par maîtres GANDIN et RUFFLE, notaires à Fougères,
le 4/3/1948.
[cxxxiii]
A.M.F. - 1AII, fonds M & G : "op. cit.", acte de modification
aux statuts de la société d'exploitation, article 16, reçu par maître
Marc ROULIN, notaire à Fougères, S.D.
[cxxxiv]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p.215.
[cxxxv]
A.M.F. - 5F5/3 à 5F5/12 : "op. cit.", Chômage...
[cxxxvi]
A.M.F. - 5F5/0 : Chômage dans la chaussure, correspondance, lettre du maire
H. REHAULT à l'inspecteur général, préfet d'Ille-et-Vilaine, 25/3/1949.
[cxxxvii]
A.M.F. - 5F5/0 : "op. cit.", lettre du ministère du Travail et de
la Sécurité Sociale à monsieur ESTEVE, sénateur d'Ille-et-Vilaine,
20/4/1949.
[cxxxviii]
A.M.F. - 1B, fonds MOREL & GATE : Conseil d'administration ou conseil de
gérance, procès-verbaux des délibérations, 19/4/1950.
[cxxxix]
A.M.F. - 1B, fonds M & G : "op. cit.", brouillon, feuille
volante à part, 19/4/1950.
[cxl]
O.C.D.E., Vocabulaire technique de l'industrie de la chaussure,
Paris, O.C.D.E. Publications, 1969, p.23.
[cxli]
A.M.F. - 3J, fonds MOREL & GATE, "op. cit.", chemise 1950.
[cxlii]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p233 : F.
CARON citant C. CRUSON.
[cxliii]
CARON (F.), "op. cit.", Histoire économique..., p.234.
[cxliv]
A.M.F. - 1B, fonds M & G : "op. cit.", délibération du
31/3/1952.
[cxlv]
A.M.F. - 1AII, fonds M & G : "op. cit.", acte de constitution
de la société MOREL & GATE, étude de maître Marc ROULIN, notaire à
Fougères, article 1, 30/12/1953.
[cxlvi]
A.M.F. - 1B, fonds M & G : "op. cit.", délibération du
11/4/1958.
[cxlvii]
Il est assez intéressant d'observer que cette catégorie "malades et
absents" est quasi-constante chaque semaine à partir de la fin octobre
1952, tandis que la catégorie "chômage complet" disparaît
presque totalement. Ceci est peut-être dû à la baisse constante de
l'effectif tout au long de la décennie : l'entreprise passe d'une moyenne
approximative de 597 personnes en 1949 à 380 personnes en 1960.
[cxlviii]
A.M.F. - 1B, fonds M & G : "op. cit.", délibération du
11/4/1958.
[cxlix]
Expression de J. SAINT-GEOURS, idée qui domina tous les débats de
politique économique dans les années cinquante, citée dans CARON (F.),
"op. cit.", Histoire économique..., p. 169.
[cl]
A.M.F. - 1B, fonds M & G : "op. cit.", délibération du
10/4/1959.
[cli]
A.M.F. - 1B, fonds M & G : "op. cit.", délibération du
5/7/1960.
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